Il ne faut pas t’inquiéter pour la grosse Bertha

Le 8 Avril 1918

Mon petit Loul Aimé,

Ce matin, j’ai eu trois lettres de toi. Aussi, tu penses ma joie. J’étais un peu folle. Surtout que j’ai une lettre du 6 et cela n’est pas vieux du tout. Pense mon Loul que les lettres que je recevais dernièrement étaient vieilles de 6 et 7 jours. Aussi, cela me semble tout plein bon d’avoir une lettre de l’avant veille et de savoir mon tout petiot en bonne santé.

Les trois lettres que j’ai reçu sont du 1er, du 4 et du 6. Elles ne se suivent pas très bien, ça fait que je ne suis pas très au courant des derniers jours que tu viens de passer. Dans celle du 1er, tu me dis que vous partez le lendemain. Dans celle du 4, tu es bloqué dans une ville, mais je ne sais pas laquelle. On a pris soin d’effacer le cachet qu’est sur le timbre et on me l’a ouverte et à l’intérieur, on m’a glissé le petit papier que je te joins. Je crois que le cachet portait le nom de la ville de Beauvais. Mon père dit que c’est Creil. Tu me diras lequel qui a raison de nous deux. Dans ta lettre du 6, tu me dis être installé dans une école. Donc je conclue ceci :

Tu es parti le 2 de Coincy. Tu as eu une panne qui t’a forcé d’atterrir près de Beauvais. Pierre est venu te réparer, et tu es reparti et arrivé à ton escadrille à Grandvillier. Est-ce ça, ou est que je me trompe ?

Je vais sans doute recevoir les autres lettres ces jours-ci et je comprendrai certainement mieux…

Ce qui m’ennuie, c’est que mon pauvre tout petiot est sans nouvelles de moi. J’espère que maintenant, tu es complètement rassuré et que tu as dû recevoir tout un paquet de missives.

Tu sais mon Loul, il ne fallait pas t’inquiéter pour la grosse Bertha. Ça n’en vaut pas la peine, pour ce qu’elle fait, ce n’est pas bien terrible. Dernièrement, un obus est tombé dans une usine de camouflage où travaillaient 700 ouvrières. Il n’y en a eu que 3 de blessées légèrement.

pp-08-04-18

Tu vois, ils n’ont pas encore réussi à nous exterminer tous ! Je n’y fais même plus attention. D’ailleurs, dans notre quartier, nous ne sommes pas dans la zone des points de chute.

Comme je voudrais être à la place de la petite Moune ! Lorsque tu viendras en permission, il faudra me l’amener afin que je fasse sa connaissance. Pour le moment, tu lui diras que ta gosse lui envoie une gentille caresse et qu’elle lui demande d’être très gentille avec son maître. Je veux que tu lui fasse bien comprendre de ma part. Que pour la peine, je lui enverrai un susuque.

Sur ce petit Loul, je te quitte pour courir chez toi annoncer que j’ai des nouvelles du 6. Tu sais, j’en suis très fière.

Quelle sacré Marie-Louise, maintenant qu’elle m’a fait mettre de l’eau dans mon encre, on est pas capable d’écrire.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je termine mon griffonnage en t’envoyant mon petit coco à moi les plus douces caresses de ta gosse qui t’aime bien tendrement,

Mino

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