30 fauteuils de dentiste

Paris, Le 19 Septembre 1917

Mon petit chéri,

Un petit mot pour te dire qu’hier au soir, j’ai reçu une lettre de Suzanne me demandant de bien vouloir aller avec tes parents au Mesle. Mon père a accepté, mais (car il y a un mais), il vaut venir avec moi passer une huitaine de jours pour se reposer. Nous partirons probablement Vendredi ou Samedi. La date n’est pas encore fixée. Je partirai avec tes parents en auto et mon père par le chemin de fer. Il préfère aller chez Madame Fleuriel qu’à l’hôtel, aussi je lui écrirai pour savoir comment elle pourra nous loger. Ça ne sera pas commode. Je coucherai sans doute dans sa chambre et mon père dans celle que j’occupais.

Nous emmenons Loulou aussi. On n’attend que l’autorisation pour partir, aussi je recommence à faire mes baluchons. Tâche d’avoir ta permission pour le commencement du mois, car je crois que tes parents ne resteront que quinze jours. De toute façon, si tu viens là-bas, tu ne pourras certainement pas y passer toute ta permission. Tu parlais du 5 ou 6 Octobre, je crois. Eh bien, 15 jours cela fait presque au 20 et nous rentrerons sans doute le 10. Enfin, on s’arrangera toujours. Tu peux très bien avoir ta permission pour deux destinations. Le Mesle et Paris.

Aujourd’hui, j’ai retrouvé mon sourire de sale gosse et non pas de vieille grand’mère. J’ai ma dent. Elle n’est pas mal du tout, ressemblante à l’autre, mais dans son genre aussi bien. J’y ai été ce matin et j’y suis restée plus d’une heure. Celui qui me l’a posé m’a bien fait mal ! J’avais aussi une jeune fille qui a fait la bonne moitié de l’ouvrage.

HopitalValdeGrace1

C’est dans une clinique affectée aux militaires depuis la guerre. C’est très drôle. Imagine-toi une salle immense contenant au moins 30 fauteuils de dentiste et là, au moins 60 soldats qui attendent patiemment leur tour.

Il n’y avait qu’une dame et moi comme femme à soigner, aussi nous avons passé les premières. Je ferai attention de ne pas manger trop de pommes maintenant…! La gourmandise est toujours punie.

J’ai reçu ce matin ta petite lettre du 17 et je suis heureuse de savoir que tu as fait bon voyage.

Je te quitte pour aller chez Marie-Louise.

Reçois mon Loul Aimé les plus tendres baisers de ta sale gosse,

Mino

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