Une si douce pénitence

Paris, Le 20 Juin 1915

Mon petit Loulou chéri,

Je viens de recevoir ta lettre du 16 qui, lorsque je l’ai ouverte m’a fait vraiment plaisir en voyant quatre grandes pages à lire.

Tu me parles d’une fameuse lettre de toi dans laquelle j’avais cru que tu m’en voulais. Mon petit chéri, cela est bien loin déjà, je n’y pense plus, d’ailleurs, je ne l’ai jamais beaucoup cru. Te sachant si gentil et m’aimant comme tu m’aimes, il aurait été, comme tu me le dis, très mal de ma part de croire le contraire. Il faut te dire que le jour où j’ai reçu cette lettre, je venais de me faire gronder par mon père ; pour comble de malheur, je reçois cette fameuse lettre. Etant très énervée,je m’apprêtais à venir me consoler près de toi, lorsque en commençant à lire tes lignes, je vois : “Je suis très étonné d’un long silence de quatre jours, reçois-tu mes lettres, j’en doute car je suis sûr que tu me répondrais…” Cette phrase a été très mal interprétée par moi, je n’ai pas réfléchi, je venais dans l’idée de trouver une consolation dans ta lettre, et au contraire elle n’était pas du sens espéré. Aussi je n’ai vu qu’une chose, c’est que de ton coté tu n’étais pas favorisé par la chance, et que tu devais t’ennuyer et cet ennui était causé par moi. C’est de là que je me suis mise à pleurer et ma foi, lorsque l’on pleure, on ne sais guère ce que l’on écrit. Malgré tout, je suis heureuse de constater que tu es  la bonté même (Il est vrai mon Loulou chéri que je m’en suis aperçue depuis longtemps) puisque tu pousses ta bonté jusqu’à me pardonner, car comme tu me le dis, et je te donne raison, tu aurais presque eu le droit de m’en vouloir pour avoir pleuré pour une de tes lettres. J’en ai de si gentilles et de si douces, qui ressemblent tant à celui qui les écrit.

La pénitence que tu m’infliges est vraiment douce, elle ne m’étonne pas de toi, elle est digne de ton coeur, mais à ma grande honte, je suis obligée de constater que je ne la mérite pas beaucoup. N’es-tu pas de mon avis ? Je suis en train de me demander que doit-être une récompense donnée par toi, puisqu’une pénitence est si douce.

Est-ce que tu es toujours au même endroit ? car j’ai vu Madeleine dernièrement qui venait de recevoir une lettre de Robert Sut. Il se trouve en Argonne, près de Bagatelle, où vous avez déjà été. Madeleine m’a prié de te souhaiter le bonjour. Je vais aller la voir tantôt puisque c’est aujourd’hui Dimanche.

En espérant que ma lettre te trouvera en bonne santé et te montrera que jamais je n’ai cru que tu m’en voulais. Je t’envoie mon Loulou adoré autant de baisers que tu en désires.

Celle qui t’adore,

Germaine

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