Sale Gosse

Le 28 Août 1917

Petit Loul chéri,

Ce matin en allant aux lettres, j’ai eu le plaisir de trouver dans la boîte ta gentille lettre d’hier et celle de Suzanne. Je suis contente que tu sois bien rentré. Ça ne m’étonne pas que tu aies eu un temps épouvantable. Ici, depuis ton départ nous avons une de ces tempêtes ! Comme tu dirais “pépère”. Les beaux pommiers de Madame Fleuriel sont tout abîmés. Il y en a un, près des lettres, qui est complètement déraciné. Celui qui avait de si belles pommes rouge en face de la maison a perdu toutes ses pommes. Gertrude en a ramassé un plein panier.

panier pomme

Depuis hier matin, nous sommes enfermées. Ce matin et hier au soir, Gertrude est venue avec moi aux lettres. Heureusement pour moi. Le chemin est tout détrempé, aussi j’ai fait de ces glissades avec mes sabots pas ordinaire. Si elle n’était près de moi pour me retenir, j’aurais ramassé de belles bûches.

Ce matin, ça allait mal. Elle a pleuré toute la matinée, parce que Madame Fleuriel avait oublié de l’embrasser hier soir. Et tout ça à cause de moi, je l’ai tellement fait enrager hier au soir, que Madame Fleuriel lui a dit : “Va te coucher, comme ça Mlle Germaine ne te taquinera plus,” aussi elle a oublié de l’embrasser et dame, ce matin les larmes coulaient à qui mieux mieux. Je lui ai éteint au moins quatre fois sa lampe hier au soir, soi-disant qu’il faut faire des économies.

Ce matin, je l’ai fait marcher en lui disant qu’un coucou avait 23 mètres de long. Tu parles si je me tordais, j’en étais malade. Madame Fleuriel disait qu’elle était maigre comme un coucou. Moi de répondre : “C’est pourtant bien gros un coucou” et Gertrude marchait. Je lui ai dit : “Moi j’en connais un qui a 23m.” Tu vois sa tête d’ici et tout le temps comme ça.

Ce matin, elle m’a dit :“Vous savez, je vous aime bien, cous êtes si gentille et si peu fière.” C’était le jour aux compliments. Suzanne me comble en me disant : “Bien souvent nous pensons à vous, à votre obligeance, votre gentil caractère et nous nous félicitons Loulou et moi que Lucien nous ait choisi une petite “belle-soeur” aussi agréable.” Oh là là ! Suzanne va un peu fort, je suis loin d’être comme elle dit puisque je suis une sale gosse. Pauvre Loul, à ton tour à te faire enrager. Si tu m’avais vu hier, j’avais tout à fait l’air d’une gosse, j’avais gardé mes cheveux dans le dos et je m’étais fait des boucles. Comme cela tu aurais pu me dire “Sale Gosse.” Deux mots que j’aime bien t’entendre dire. Je pensais, je préfèrerais que tu viennes le 6 que le 26 ou 28. Comme cela on serait sûrs d’être tranquille et je pourrais mieux te faire enrager. Enfin, tu feras comme tu voudras ! Plutôt ce sera, moins on aura de temps à être loin l’un de l’autre.

Tu ne m’as pas dit comment mon père t’avait reçu ?

Je te quitte, la cousine de Madame Fleuriel m’attend pour sortir.

En espérant que mon petit Loul Aimé est toujours en bonne santé, et bien reposé, je lui envoie mille douces caresses de sa sale gosse qui l’adore à la folie,

Mino

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