Sortie au théâtre

Paris, le 14 Septembre 1916

Mon Loulou Aimé,

J’ai reçu ce matin ta gentille lettre du 13. Pauvre chéri, je suis navrée pour toi que tu n’aies pas encore une réponse. Je comprends facilement que ce genre de vie est loin de te convenir. Franchement, on se moque un peu de toi. On te traite un peu en enfant que l’on met en pénitence et dont on ne s’occupe plus. Je voulais t’écrire ce matin pour t’envoyer deux photos qui t’auraient un peu distrait et changé les idées. Je les avais eu hier soir, c’est Loulou qui les a faites. Mais ce matin, j’avais mon amie Marie-Louise à déjeuner, aussi, nous sommes tellement bavardes et moi toujours occupée, ça me donne quand même un peu de travail que je n’ai pas eu une minute à moi pour t’écrire.

Après déjeuner, il a fallu se dépêcher, nous devions aller en matinée. Aussi, à 2 heures moins 1/4, nous étions déjà dehors. Nous avons eu un tas de péripéties, nous devions aller à l’Ambigu voir jouer Le Maître de forges“.  Lorsque nous sommes arrivées, pas de matinée.

Ambigu

De là, nous avons été aux Bouffes : pareil. De là, nous avons filé au Palais-Royal où nous sommes juste arrivées pour le levé du rideau. Vois tout ce mal, c’était presque comme avec toi, lorsque nous avons été voir jouer “Mon bébé”.

Nous avons vu jouer “Madame et son filleul” avec les mêmes artistes qu’à “la Cagnotte”.

distrib

C’était un fou rire depuis le commencement jusqu’à la fin. Cette pièce est beaucoup plus drôle que celle vue ensemble. Le petit jeune homme qui était habillé à carreaux jaune avec ce costume si amusant et avait l’air de te plaire, faisait un auxiliaire, ou plutôt un embusqué, cela lui allait parfaitement bien et le vieux avec sa pioche faisait le vrai type de poilu. Rien que de le voir entrer, c’était le fou rire général. Je regrette beaucoup que tu n’aies pas vu cette pièce, elle t’aurait certainement mieux plu que l’autre.

madame et son filleul 1919

Lorsque je suis rentrée dans la salle, j’ai eu un petit serrement de coeur en pensant qu’il y avait un peu plus de quinze jours, nous y étions venus ensemble. Heureusement, de ma place je ne voyais pas du tout celles que nous occupions. J’étais en bas cette fois-ci.

palais roayl-interieur

Comme j’ai vu qu’il m’était impossible de t’écrire avant de partir, j’avais pris ce qu’il me fallait pour le faire à un entr’acte. Comme je sais que mon petit chéri s’ennuie en ce moment, je m’en serais voulu d’aller m’amuser à la place de lui écrire. Et comme j’avais ces deux photos, je voulais te les faire parvenir pour te distraire un peu. Aussi, au premier entr’acte, je t’ai vite mis un mot, et au second, j’ai été le mettre à la Poste.

la-poste-palais royal

Tu vois, je ne t’ai pas oublié malgré que je me sois bien amusée. Je me serai encore mieux amusée si tu avais été avec moi. Mon mot était bien court, mais j’espère que mes photos t’auront dit beaucoup de choses que j’aurais voulu t’écrire.

Il y a celle où je suis sans chapeau qui n’est pas mal. Tu m’excuseras de te griffonner de la sorte, mais mon père est déjà couché, aussi, il n’aime pas voir de la lumière longtemps, il s’imagine qu’il est tout de suite minuit et il est à peine 9 heures. Dernièrement, j’ai eu une petit histoire à ce sujet, aussi je ne tiens pas à recommencer. Je t’écrirais bien dans ma chambre, mais ce n’est pas commode. Donc mon Loulou chéri, je vais terminer là ma lettre en espérant que bientôt tu seras casé quelque part. Je te quitte pour aller rêver à toi.

L’autre jour à propos, j’ai fait un bien vilain rêve : tu ne m’aimais plus, ou pour ainsi dire presque plus. Heureusement que ce n’était qu’un rêve. On dit toujours que l’on rêve le contraire. Je n’ai pas eu du mal à le croire, car je sais que tu m’adores. Je te quitte mon chéri pour aller faire de beaux rêves roses tout éveillée en pensant à ta dernière permission qui a été si délicieuse. Bonsoir mon petit n’amour, je t’embrasse et je t’adore,

Germaine

Creative Commons License