Les rues sont lugubres

Paris, Le 5 Mai 1915

Mon chéri,

J’ai reçu ta lettre du 28 ainsi que celle du 30. Dans la première, tu es désolé de la perte de ton toit. Mon bon chéri, je ne suis pas comme toi à ce sujet. Je suis très contente de cette nouvelle. Moi qui craignait tant pour toi. Pense dans quelles inquiétudes j’étais, de te savoir si exposé, être en somme la mire aux balles boches. Maintenant qu’ils ont réussi à la détruire, ils vont peut-être vous laisser tranquille.

Tu prétends qu’ils vous veulent du mal. Cela, je n’en disconviens pas.

Dans ta seconde lettre, tu espères partir au repos bientôt. Ce repos ne sera pas volé, car il me semble qu’il y a longtemps que tu es dans cette maison.

Je vais voir Madeleine demain. Je n’ai pas eu le plaisir de la voir Dimanche comme d’habitude. Mme Sut l’a emmené à la campagne. Elle m’avait invité à aller avec elles, mais comme nous serions rentrées assez tard, je n’ai pas accepté. Surtout depuis que tout est éteint dans les rues, je t’assure que cela n’a rien d’agréable, ni de rassurant. Ce n’est pas que j’ai peur, mais c’est si triste et si lugubre ces rues éteintes. Quelle différence avec le temps de paix !

Le temps ici est toujours très beau et très chaud.

J’espère que ta santé est toujours bonne. Tant qu’à moi, je me trouve très bien de mon nouveau régime.

Tu ne me parles plus du joyeux Serreulles. J’espère qu’il est toujours en bonne santé. Tu lui souhaiteras le bonjour de ma part lorsque tu auras l’occasion de le voir. Il peut en ce moment ressortir son chapeau de paille. C’est le moment ou jamais, mais qu’il fasse attention que le vent ne lui joue pas de nouveaux tours et qu’il lui emporte son couvre-chef dans les tranchées boches. Je ne crois pas qu’il courre après aussi vite qu’à Cayeux.

En attendant de tes bonnes nouvelles, je t’envoie mon bien aimé autant de baisers que d’heures qui nous ont déjà séparés.

Celle qui t’aime de toutes ses forces,

Germaine

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