Bonne aventure

Paris, Le 12 Mars 1915

Mon chéri,

La dernière lettre que je t’ai adressé était bien courte ; aussi aujourd’hui comme j’ai beaucoup de temps à moi, j’en profite pour venir bavarder avec toi plus longuement.

J’espère mon cher Loulou que tu es toujours en parfaite santé et mieux favorisé par le service de ravitaillement depuis ta dernière lettre. Je constate, à ma grande joie et à ton honneur que les succès sont de plus en plus nombreux en Champagne. Nous progressons tous les jours disent les journaux. Que de peines et de souffrances pour vous dans ce mot progrès, mais que de fierté !

Dans une de mes dernières lettres, je t’apprenais que pendant un mois je serai privée de tes nouvelles. Cette nouvelle est complètement fausse, la correspondance militaire se poursuivra comme auparavant. Depuis plusieurs jours, ce bruit avait été lancé à Paris par des espions, ce qui avait affolé pas mal de gens, mais une note officielle insérée dans les journaux a rassuré tout le monde.

Hier, j’ai passé une très bonne journée. J’ai reçu Mme Blin et ses deux filles, Madame Sut et la soeur à Robert. L’après-midi aurait été presque gaie s’il n’y avait pas eu le manque de nouvelle du coté de Madeleine. Enfin comme j’en avais, cela l’a consolé un peu.

Dimanche dernier, en nous promenant avec Madeleine, nous avons rencontré de ces diseurs de bonnes aventures, qui répondent par écrit à la question posée. Par curiosité, nous avons pris chacune un billet. Moi, je demandais comme tu dois t’en douter, si tu reviendrais et si nous nous marierons ensemble.

Voici la réponse : Votre projet réussira certainement, mais il faut de la persévérance. N’entreprenez rien de sérieux un 13 du mois, car c’est un jour néfaste. Pour vous, c’est le 17 de chaque mois qui est un jour de bonheur. Ne l’oubliez point et vous réussirez. Pas trop mauvaise la réponse ?

Madeleine, la sienne était beaucoup plus précise (elle demandait pareille que moi) : Parfaitement et bientôt.

Il faut dire que je ne crois pas beaucoup aux prédictions, mais j’espère que celle-ci sera vraie.

Je t’envoie une chanson, faite à mon idée et que je répète du matin au soir, sur un air de mon invention. Tu ne feras pas attention aux fautes de vers, je ne suis pas poète, mais je suis admiratrice du 128e surtout d’un caporal téléphoniste.

En espérant recevoir de tes bonnes nouvelles bientôt, je t’envoie mon petit chéri, mes plus tendres baisers.

Ta petite fiancée qui t’aime de tout son coeur,

Germaine Gloire et honneur Gloire et honneur au 128e
Refrain
Vive le 128e
Régiment de celui que j’aime
Les braves, les vaillants en font partie
Ceux de province comme ceux de Paris

En temps de paix, la ville de garnison
Amiens, mais depuis la mobilisation
Ils ont fait bien du chemin
Et n’ont pas toujours eu de pain.
Ils étaient tout d’abord à Dun sur Meuse
Là, la vie n’était pas malheureuse

Mais vint Chimay, Fumay
Là, c’était très mauvais
Hélas, Virton, Charleroi. Comme ils ont dû souffrir
Vive la France ! Vaincre ou mourir
Voilà la devise du 128e.
Gloire et honneur à ceux qu’on aime

Après, ce fut la triste retraite.
Marcher nuit et jour tout d’une traite
Sans jamais se plaindre, ni se décourager
Toujours vaillants et braves devant le danger
Enfin, il arrêtèrent leurs pieds meurtris
En Argonne, dans le bois de la Grurie.

Maintenant ils sont à Mesnil-les-Hurlus
Ce sont de nobles guerriers, de vrais poilus
Ecoutez-tous voici quelques noms !
Rémy F… Roncin, Baclon
Feret, Petit, Bonnaire, Grégoire
Charles Serreulles de joyeuse mémoire.

Enfin celui que j’aime, un gentil téléphoniste
Qui remplit très bien son service.
Caporal depuis très peu
En Argonne, sur la ligne de feu.
Quand reviendras-tu, mon adoré ?
Afin que notre vie soit toute dorée !

Tu sais, je t’ai donné mon coeur
Va ! mon chéri, reviens-moi vainqueur,
Continue à te défendre vaillamment
Tu sais que je t’aime tendrement
Et moi en attendant un doux moment
Je répète constamment

Vive le 128e
Régiment que j’aime
Les braves en font partie
Comme je voudrais que la guerre soit finie !

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