Paris, Le 8 janvier 1915

Mon petit chéri,

Je viens de recevoir deux lettres de toi, une hier du 2 et une aujourd’hui du 6. Dans la première, tu me donnes la recette de l’argonnaise. Tous mes compliments, cette collation est exquise, tu es un cuisinier numéro un. Bravo !

Je la trouve fort à mon goût, je suis en train de prendre ma troisième, tu vois, j’y fais honneur. Maintenant lorsque j’aurai des amies, je remplacerai le traditionnel thé par l’Argonnaise, nom qui sonne aussi très bien à mon oreille.

Je ne t’ai pas encore dit que je connaissais l’Argonne. C’est même la plus belle forêt que je connaisse et dont le souvenir est resté gravé dans ma mémoire. Il me semble que je la revoie encore avec ses grands et beaux arbres, il y a de cela trois ans, mais qu’est-elle devenue à présent ?

Tous ces gigantesques sapins que j’ai tant admiré doivent être à présent abattus, déchiquetés par le feu et la mitraille. La guerre a passé par là, triste et funèbre, abattant tout sur son passage. Région si belle où s’est écoulée mon enfance et qui a abrité mes deux premières années. Et dire que maintenant, c’est toi mon Loulou chéri, toi que j’aime le plus au monde, qui vit dans cette forêt, et qui défend cette terre.

Le pays où j’ai été élevée est Haudiomont, dans les environs de Verdun. Ce n’est pas loin d’où tu es. Aussi, tu comprendras pourquoi j’aime l’Argonne et combien je souffre en pensant que la petite maison de mon jeune âge doit être à présent un amas de décombres. Qu’est devenue ma pauvre nourrice ? Je me demande ! Peut-être morte, tuée pas ces allemands maudits.

Dans ta deuxième lettre, tu me demandes une photographie de moi, ton idée est très bonne et je l’approuve. La semaine prochaine, je me ferai faire et je te l’enverrai aussitôt. Il y a un mois, je voulais te faire cette surprise, mais je n’ai pas de chance. La plaque a cassé trois fois de suite, si bien que la dernière fois, j’ai posé étant en colère, aussi il faut voir ma tête. Enfin, j’espère avoir plus de chance cette fois-ci, d’ailleurs je penserai à toi.

En attendant de tes bonnes nouvelles, je t’envoie mon gentil Loulou, tous mes meilleurs baisers de celle qui t’aime

Germaine