Trèfle à quatre feuilles

Amiens, le 8 Juillet 1914

Petite chérie,

Ainsi que je te l’ai promis dans ma lettre d’hier, je t’écris ce petit mot pour te dire comment s’est passée la première journée passée entièrement loin de toi.

D’abord Mardi après-midi, après t’avoir écrit, j’étais dans le métro quand deux messieurs à côté de moi se mettent à causer de leur prochain départ à Ault. De Ault à Cayeux, en imagination, je ne fis qu’un bond, et comme au déjeuner, je me mets à pleurer. Dans le métro ! Je devais avoir l’air bête. Je me suis tourné vers la portière et je pense que personne ne m’a vu.

J’ai pris le train de 9h20 du soir à Paris et je suis arrivé à Amiens à 11h. A minuit, j’étais couché mais je n’avais guère envie de dormir, aussi tout éveillé, j’ai pu rêver à toi ; le rêve n’était pas gai : tu étais si loin dans la réalité.

Ce matin, bien fatigué, j’ai revêtu mes effets de martyr et sous la pluie j’ai assisté en acteur à un vague exercice dans la campagne environnante. Cette après midi, nouvelle sortie sous la pluie, en rentrant j’étais aussi mouillé qu’après un bon bain.

Mais assez parlé de moi, toi, que fais-tu ? Ne t’ennuie pas trop surtout ; tu me ferais de la peine.

Puis-je continuer à t’écrire sans danger pour toi ? Tu me préviendras quand et pendant combien de temps ton père sera là et je te ferai transmettre mes lettres par Marcel.

Je t’envoie ci-joint un trèfle à quatre feuilles que j’ai trouvé il y a environ un mois sur le terrain de manoeuvre. Il emporte avec lui tous les baisers que je pose sur ta bouche aimée,

Ton Lucien

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