Je t’ai bien vu partir !

Le 18 Mai 1918

Mon peti Loul chéri,

J’espère que tu as fait un bon voyage et que tu es arrivé à bon port à ton escadrille.

Je t’ai bien vu partir ! Je t’ai entendu mettre un moteur en marche tout près de moi, aussi je me suis doutée que c’était le tien. Alors je n’ai plus quitté des yeux le bessonneau qui était en face de moi. Lorsque j’ai vu un coucou s’élever au dessus, je me suis dit : pas de doute, c’est mon Loul ! Tu es venu au dessus de la route et tu es descendu assez bas près du champ. Je te voyais très bien, mais je n’ai pas vu du tout le bas, il devait être enroulé autour de ton cou. Tu as fait un petit virage pour revenir au dessus de moi, qui m’a fait frissonner. C’était presque un petit looping ! Ton coucou était peint en jaune et vert. J’espérais que tu allais rester encore un petit moment, mais au deuxième tour, tu as filé droit devant moi, et lorsque Pierre est arrivé, tu n’étais plus qu’un petit point noir à l’horizon.

autographe avion

Ce qu’il avait chaud, ce pauvre Pierre ! Il craignait que je sois partie. Il n’était que 5h05 et j’aurais attendu jusqu’au quart, pour m’en aller. Ce qui m’aurait vraiment fait mal, de partir sans voir mon Loul ! J’ai demandé à Pierre si le coucou marchait bien et si ça allait au départ. Il m’a dit que oui. Nous avons bavardé tout le long de la route sur ton escadrille et sur ton vieux moteur qui vous a donné tant de mal. Nous avons eu le tram tout de suite. Et j’ai quitté Pierre à la Porte de la Villette pour prendre le métro. Il était exactement 6h½ lorsque je suis rentrée à la maison. J’avais un peu mal aux pieds, aussi je n’ai pas été longue à me déchausser.

Hier soir à 10h½, nous avons eu une petite alerte. Pierre a dû te dire ça. Il n’y a rien eu à Paris. Ils ont pu venir qu’en banlieue. Je n’étais pas encore couchée. C’était une veine ! Je m’apprêtais à me mettre au lit, aussi je n’ai eu que le mal de me rhabiller.

pp 15-05-18

Ce matin, je t’ai fait concurrence. Je me suis retourné l’ongle de mon pouce gauche, en faisant un paquet. Aussi, cela me fait bobo. On ne peut pas s’imaginer comme ça fait mal sur le moment. Ça porte au coeur.

Sur ce, je te quitte mon petit Loul. Il est bientôt 4 heures et je suis bien en retard pour le courrier. Reçois de bien douces tendresses de ta gosse qui t’aime de tout son coeur,

Mino

Creative Commons License