Rire pourquoi ?

Paris, Le 22 Janvier 1915

Mon Loulou chéri,

Je viens de recevoir une longue lettre de toi qui m’a rendu très heureuse de te savoir pour quelque temps au repos et en sécurité. Enfin je vais pouvoir vivre en paix pendant 20 jours.

Quel bonheur de te savoir éloigné de tout danger ! Tu l’as bien gagné ce repos, aussi profites-en. Repose-toi bien, prend des forces, amuse-toi si tu peux ; c’est ta petite fiancée qui te fait ces recommandations, écoute-là bien. Car la guerre n’est pas encore terminée, malheureusement et il te faudra dépenser encore beaucoup de tes forces. Je suis très contente pour toi de ce repos. Quel dommage que Louppy-le-Petit soit si loin de Paris. Sans cela, j’aurai pu aller te voir quelques heures. Tes parents vont sans doute faire ce petit voyage ?

Pour ma photo, il ne faut pas m’en vouloir si j’ai une si vilaine tête, que veux-tu depuis la guerre j’ai bien changée, je ne suis plus la petites écervelée que j’étais à Cayeux, je ne ris plus souvent, car j’ai sans cesse à l’esprit que ta vie est exposée. Aussi, de rire, j’en ai je crois perdu l’habitude. Aussi ma tête sur cette photo est nature en temps de guerre.

1915-01-22

Rire pour qui ? Rire à qui ? Rire pourquoi ? Je me demande. Je réserve tous ces sourires pour ton retour. Il est vrai que sur cette photo, comme elle était pour toi, j’aurai dû être plus gracieuse. Mais que veux-tu, l’habitude de ne plus rire.

La seconde photo est un peu mieux à ce sujet, mais on me trouve trop dédaigneuse, défaut pourtant que je n’ai pas (il est vrai que j’en ai d’autres). Tant qu’à retrouver la figure rieuse que tu aimes tant, tu ne la retrouveras qu’à ton retour, car sur un bout de carton, moi, je ne te vois pas et il n’y a que pour tout que ces sourires sont réservés.

Toi, me gronder ! pour ma photo je voudrais bien te voir. Cela doit être vraiment comique. Tu oses me demander si je suis contente de tes projets. Je suis plus que contente, j’en suis folle et je ne sais comment te remercier. Devenir la femme de celui qui vous aime et que l’on aime. Quel bonheur.

Donc je termine en te disant je suis heureuse, très heureuse de tes projets, je te recommande aussi de bien te reposer et de m’écrire souvent. Faut-il toujours écrire à la même adresse ?

Je t’embrasse aussi tendrement que je t’aime,

Germaine

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