C’est énorme !

Le 13 Octobre 1918

Mon petit Chéri,

J’ai reçu hier soir ta mignonne lettre du 10. J’ai vu sur la lettre de tes parents que ton colis était un rude ballot ! Il faudra lui acheter une paire de lunettes. Qi est-ce ce colis ? Ce n’est surement pas Suzanne. Heureusement que tu as eu la précaution de te mettre un siège blindé, c’est plus prudent lorsqu’on a à faire à des tireurs de la sorte !

Nous avons appris par Gabrielle hier que les allemands acceptaient toutes les conditions du président Wilson. Est-ce bien vrai ? Nous n’osons pas nous réjouir de peur d’être déçus ! Si c’était vrai pourtant, nous serions bien près de la paix ! Petit chéri, je n’ose y penser !!! Quel bonheur ! Je sais fort bien que tu ne reviendrais pas tout de suite, mais tu ne te battrais plus. Pense chéri, c’est énorme ! J’attends les nouvelles en ce moment avec grande impatience. Le soir en me couchant, je me dit : “Vite demain, pour voir le journal,” le matin, je voudrais déjà être au soir pour voir du nouveau.

J’ai été hier voir mon commissaire. Au premier abord, je n’en menais pas large. Je demande à lui parler, à son secrétaire. Il me répond : “M. le Commissaire n’est pas encore arrivé. Qu’est-ce que vous lui voulez ?” Je lui répond un sauf-conduit. “Ah ! pour où ?” Je lui dit l’endroit. Il ne savait pas où c’était, il cherchait dans le Nord sur la carte. Tu vois d’ici ! Enfin, au bout d’un moment, il me dit : “Nous n’avons pas le droit d’en donner pour cet endroit-là.” Tu vois ma tête.

Au même moment, arrive le commissaire, avec des papiers à la main. Il était là. Heureusement ! Il m’a demandé ce que je voulais. Alors ça a changé, le secrétaire était aimable comme tout. Il m’a dit : “Une lettre d’amis habitant là-bas me suffit. Vous n’avez qu’à leur demander de vous écrire qu’ils seraient bien heureux de vous avoir quelques jours et je vous donnerai moi-même votre sauf-conduit. Habituellement il faut que cette lettre soit visée du maire du pays où vous allez, mais comme je vous connais, c’est inutile.”

Ça va, ça va. Tu vois petit Loul, ce n’est pas très difficile. Il ne suffit plus que de trouver une personne assez aimable pour me faire cette lettre. Je ne crois pas que ça soit impossible. Surtout qu’elle peut mettre qu’elle serait heureuse que j’aille passer les fêtes de la Toussaint près d’elle. Comme j’irai probablement à cette époque, ça irait tout seul.

Suzanne a qui j’en ai parlé craint que je t’éttire des ennuis. Le crois-tu petit Loul ? tu sais, je resterai enfermée tout le temps que j’y serai. Enfin, tu es bien placé pour le savoir. Moi, je ne le crois pas car maintenant, il doit y avoir beaucoup de monde de rentré et une personne de plus, ça ne s’aperçoit pas. Si tu pouvais me trouver une chambre près de la route où tu es, ça serait très chic. Enfin, tu feras pour le mieux. Je n’ai qu’une frousse, c’est que vous vous déplaciez avant ce moment-là !

Aujourd’hui Dimanche, je vais voir Marie-Louise. Voici midi ½, aussi petit Loul, je vais te quitter pour aller me mettre à table. Ce soir, je n’aurai pas de lettre, j’en aurai certainement deux demain.

En espérant que tu es en bonne santé, je t’envoie mon Loul que j’adore, une foule de bien douces caresses et de bien tendres baisers de ta petite gosse qui pense sans cesse à toi,

Mino

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