Tes lettres, ou plutôt les miennes

Le 25 Septembre 1918

Mon petit chéri Aimé,

J’espère que tu as trouvé une place confortable dans ton train et que tu as fait un assez bon voyage. Je pense qu’à l’heure qu’il est (16h), tu es arrivé à bon port à ton escadrille et que tu es en train de t’installer. Je pense aussi que tu as fait un assez bon déjeuner au wagon-restaurant et que tu n’as pas trop le cafard. Tant qu’à moi, depuis ce matin, je fais de gros efforts afin de rester sage ! C’est assez dur ! Mais je suis assez contente de moi. Je n’ai presque pas pleuré. Un peu en sortant de la gare, j’avais tant de chagrin à te quitter et à me trouver si seule dans cette gare que cela a été plus fort que moi !!! Je suis rentrée bien triste mais assez courageuse. J’ai monté tout de suite à notre chambre afin de mettre un peu d’ordre et dame, là, j’ai encore un peu pleuré car je sentais un grand vide ! Plus de Loul chéri pour me dorloter. Finies les bonnes journées à deux. Enfin, j’ai pris mon courage à deux mains et je me suis mise à faire la chambre.

Il m’a fallu beaucoup de temps, car à chaque instant, je touchais à tes affaires qui me rappelaient mille bien doux souvenirs. La matinée s’est tout de même passée sans larmes. J’ai rangé tes affaires puis les miennes. Ensuite j’ai fait le ménage, j’ai rangé ce qu’il y avait dans le secrétaire, j’ai fait ma toilette et j’étais juste prête pour midi.

J’ai assez bien déjeuné, ça avait beaucoup de mal à passer, mais en y mettant le temps, j’y suis arrivée. Ensuite, je suis remontée dans la chambre et je me suis mise à ranger tes lettres, ou plutôt les miennes. Je les ai mises par date. J’ai commencé par les deux boites en fer. Elles sont classées depuis le 8 Juillet 1914 au 20 Décembre 1915.

Lettre du 8 juillet

Le reste qui est dans la grande boite en carton, ça sera pour un autre jour. Je les ai quittées pour t’écrire. Cela n’a pas l’air, mais c’est très long. Quand elles seront toutes classées, je les mettrais dans le tiroir en bas de l’armoire, à côté du gros révolver, puis j’apporterai les miennes aussi, que je mettrais à côté. Je fermerai le tiroir à clef et je garderai la clef sur moi.

Ta mère voulait que j’aille chez ta tante Liotard tantôt, je n’ai pas voulu, j’ai préféré rester là. Je n’ai pas de goût pour sortir. D’ailleurs, elle reste là toute l’après-midi. Et s’est couchée pour avoir plus chaud et pour faire passer son rhume plus vite. Elle travaille dans son lit en compagnie de Toto.

Suis-je bête ! Voilà que je viens de me remettre à pleurer. Etait-ce bien la peine de dire au commencement de mon mot que j’avais été presque sage ! J’espère mon petit Loul Aimé que tu pardonneras cette petite faiblesse à ta pauvre petite gosse qui fait pourtant tous ses efforts pour être sage. Cette faiblesse est due à mes vilains yeux, qui viennent de regarder le grand dodo où je serai si seule ce soir !!! Mon pauvre Coco, comme c’est dur après 20 bons jours, 20 jours délicieux, de se retrouver ainsi seule !!! Comme tu me manques et combien je sens que je t’aime de toutes mes forces, que je ne peux pas vivre sans toi… Ah ! Vivement la fin de cette guerre, que nous ne nous quittions plus jamais ! C’est vraiment trop pénible !

Ce matin, j’ai oublié dans mon chagrin de te dire de souhaiter bien des choses de ma part à Pierre. J’espère que tu ne m’auras pas oubliée auprès de lui et que tu l’auras trouvé en bonne santé.

Dans l’attente d’un petit mot de toi et en espérant que tu es en bonne santé, je t’envoie mon chéri Aimé, les plus folles caresses et les plus gentils baisers de ta petite gosse qui t’aime à la folie,

Mino

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