Pour Marie-Louise, c’est la mouisse

Le 9 Août 1918

Mon tout petiot Aimé,

Me voici au Mesle. Je suis très bien arrivée hier au soir. Tout le monde m’attendait à la gare. Tes parents ont une mine superbe. Suzanne est toute rose et Loulou commence à avoir une tête très sympathique. Il parait que moi, j’avais une sale tête. Il est vrai que j’étais complètement vannée. Maintenant, ça va. J’ai passé une très bonne nuit et j’ai très bien dormi. Je me suis couchée à 9h. Cinq minutes après, je dormais. Je n’ai même pas entendu tes parents se coucher.

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Ce matin, j’ai été réveillée à 6h. Je ne suis pas encore habituée au chant du coq et aux bêlements des veaux, ni aux grognements d’Adolphe (Adolphe est le nom du porc de M. Lemonnier). Il habite juste au dessus des chambres. Il est agaçant comme tout. Il ne fait que grogner. Bien que réveillée à 6h, je ne me suis levée qu’à 7h20.

Aujourd’hui, c’est le jour de réquisition des chevaux. Aussi, il y avait de l’animation de bonne heure ici. J’ai été déjeuner. J’ai pris un café-crème, avec de la vraie crème ! Délicieux. Il y avait du beurre exquis pour faire des tartines. J’ai mangé comme quatre. L’appétit de l’an dernier revient. Je suis sûre que si mon petit Loul avait été là, il aurait très heureux de me voir dévorer ainsi. Tu vois, petit chéri, que je suis tes conseils. Je suis très sage et très raisonnable. Mon tout petiot s’est privé de moi, pour que j’aille à la campagne, je veux en profiter afin qu’à mon retour, mon gosse chéri ait une Mino très appétissante à se mettre sous la dent…

Je viens de faire ma toilette et je t’écris, il est 10h m 10. Tu vois, je ne suis pas bien à plaindre ! J’ai déjeuné en compagnie de Madame Sevette. Les jeunes filles dormaient encore. Aussi à présent, je suis très en avance.

Rien de changé ici. J’ai retrouvé M. et Mme Lemonnier, toujours aussi aimables, ainsi que Mme Magne et Louise. Tes parents ont toujours leur même chambre. Les jeunes filles ont la tienne et moi, j’ai la leur. J’aurais préféré la tienne. Enfin, cela n’a pas beaucoup d’importance puisque tu n’y es pas.

Hier soir après dîné, nous avons été faire un tour du côté de la gare. Nous avons rencontré Geogeo, dans une voiture à âne avec le facteur et sa femme. Il a l’air heureux comme un roi et il est gâté comme tout. Il a déjà une mine superbe.

J’ai trouvé ici une lettre de Marie-Louise qui me dit qu’elle est très heureuse de savoir mon mariage proche, mais qu’elle ne pourra sans doute pas y assister étant dans une purée noire et Espierre aussi. Cela me contrarie beaucoup. Je n’ai qu’elle comme bonne amie. Si elle ne vient pas, je serais complètement seule, et cela me chagrine beaucoup. De plus, elle me dit qu’elle est trop purée pour se faire faire une robe, aussi qu’elle ne pourrait y assister avec une robe défraîchie. Ce n’est pas de veine.

Enfin, j’espère que d’ici-là, les fonds seront en hausse. Espierre avait, parait-il, beaucoup d’argent placé dans les bons russes. Aussi, maintenant qu’on ne les paye plus, il se trouve forcément assez gêné. C’est la mouisse !!! Elle ne rentrera à Paris que pour la ré-ouverture de l’Opéra qui se fera au mois d’Octobre. Je vais lui écrire qu’elle fasse tout son possible pour rentrer plus tôt. Comme cela elle n’aurait pas de frais de voyage en plus.

Monsieur Sevette vient de nous dire que l’offensive venait de reprendre du côté d’Amiens. Aussi j’ai bien peur que l’on vous ait envoyé par là, et que ma lettre ne te trouves plus à Roissy. J’attends de tes nouvelles avec impatience pour savoir. Les lettres mettent vraiment du temps pour venir ici ! Tes parents viennent de recevoir seulement ta lettre du 6, nous sommes le 9.

Je crois que Monsieur Sevette va écrire à l’usine pour qu’on te donne de l’argent. D’après la lettre que je lui ai apporté, il m’a dit que tu devais en avoir besoin. Il est parti ce matin pour Le Mans. Il vient de partir en bicyclette pour Alençon. De là, il prend le train. Il rentrera pour dîner.

J’espère que tu ne t’ennuies pas de trop à Roissy car j’espère bien que tu y es encore ! Et que tu es toujours en bonne santé.

Je vais écrire à mon père pour le rassurer sur mon sort.

Je te quitte mon tout petiot Aimé, en t’envoyant les plus douces câlineries et les plus gentils baisers de ta petite gosse qu’est folle de toi,

Mino

PS : Nous rentrerons Dimanche 18 à Paris. Tes parents me chargent de bien t’embrasser.

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