Il vaut mieux tenir que de courir

Le 1er Juillet 1918

Mon tout petiot chéri,

J’ai reçu ce matin tes deux mignonnes lettres du 28 et 29. Tu as raison mon Loul chéri, il ne faut pas que je me réjouisse ainsi à l’avance. Il n’y a rien de fait ni de certain. Toi, tu es beaucoup plus sage que moi et tu raisonnes bien mieux. Je m’emballe trop vite, tu as raison de mettre un frein à ma joie. A quoi cela me servirait-il si après, il ne fallait plus y penser pour le moment. Aussi mon Loul chéri, je te remercie de me donner un aussi sage conseil. Il sera toujours temps de me réjouir lorsque cela sera pour de bon. Tu es un amour de Loul qui cherche toujours à éviter de la peine à sa petite Mino. Aussi comment ne veux-tu pas que je t’adore de toutes mes forces…!!!

Tu vois mon Loul chéri, que je ne me désole pas. Par moment, je suis tout de même un peu sage.

Tu me demandes mon chéri, ce que je préférerais au cas où ça réussirait. Soit une permission aussitôt de 3 jours, ou alors attendre ta permission de détente. Je te dirais, mon Loul, que j’aimerais mieux la permission exceptionnelle tout de suite. Trois jours, ce n’est pas bien long hélas ! Mais c’est toujours ça et de cette façon, on aurait l’occasion de se voir deux fois. N’es-tu pas de mon avis mon Loul ? En plus de ça, tu ne dois pas être près à avoir tes permissions de 10 jours ? Cela ne sera peut-être que dans 2 ou 3 mois, surtout si l’offensive venait à reprendre. Alors regarde comme cela serait long !

Je m’ennuie déjà beaucoup de toi en ce moment. Tu comprends que si j’ai l’occasion de te voir avant, je ne te conseillerais pas d’attendre. Et pourquoi attendre si on nous en donne la permission ??? Ta permission aurait été pour bientôt, je ne te dis pas que je ne t’aurais pas conseillé d’attendre. Car de toutes façons, si cela se faisait, ça demanderait bien trois semaines, 1 mois, avant que tout soit prêt. Mais là, ce n’est pas le cas.

Et puis, il vaut mieux tenir que de courir. Surtout dans le métier militaire. Je vois, Charlotte Bussière voulait se marier à la permission de son fiancé qui devait être pour le commencement de Juin. Avec l’offensive qui a eu lieu, cela a retardé son tour et ils sont toujours en train d’attendre !!!

Maintenant autre chose ! Tes parents ont l’intention de partir en vacances au mois d’Août. Ils voulaient déjà partir en Juillet, mais ils attendent la permission de Pierre. Si cela se faisait, on serait obligé d’attendre leur retour, ou eux de reculer leur voyage. D’un autre côté, mon père sera-t-il là encore à ce moment ? Je n’en sais rien. Il vaudrait peut-être mieux que tu écrives tout de suite. Je comprends mon Loul chéri que cela te coûte beaucoup de demander à ton père. C’est assez délicat.

Enfin, tu peux toujours essayer. S’il nous refuse, on le verra bien. On ne risque rien. Si seulement mon père était parti tout de suite, je me serais débrouillée pour travailler. En ce moment, il ne manque pas de place. Il y a beaucoup de personnes parties. Une place comme Gabrielle m’aurait bien convenu. On ne gagne certainement pas des milles et des cents, mais je trouve que 200f par mois, c’est déjà gentil, surtout que l’on est très libre. Moi travaillant, Monsieur Sevette ne pourrait pas nous refuser. Qu’en penses-tu mon Loul ? Je te quitte un petit moment, voici mid. Je continuerai tout-à-l’heure. Une bonne grosse cerise pour mon Loul en attendant. Et puis non, ce n’est pas assez, une corbeille, cela sera mieux.

Mino

Mon petit gosse de gosse chéri, me revoici à t’écrire. Tu ne t’es pas trop ennuyé en attendant la suite ? Je ne crois pas !

J’ai encore quelque chose à te dire.

As-tu appris que ton père venait de vendre son usine à Mr Delagranville ? Je ne crois pas. Cela s’est fait ces jours-ci. Suzanne m’en avait parlé et m’avait dit qu’il n’y avait plus qu’à signer les pièces. Que Monsieur Sevette avait l’intention de quitter la Cité Nys et peut-être aller habiter la campagne. Ce qui ne la réjouissait pas. J’ai su hier par Madame Schwab que cela était fait et que la signature avait été donnée Samedi. Qu’à présent, Monsieur Sevette n’était plus chez lui. Qu’il pouvait encore rester 3 mois. Après, qu’il chercherait quelque chose du côté du Bois de Boulogne. Que pour l’instant, il ne se retirerait pas à la campagne. Qu’auparavant, il allait chercher à marier Suzanne. Qu’il rachèterait une auto et qu’il ferait des petits voyages, pour son agrément. Donc il ne quitterait la Cité Nys qu’à son retour de vacances.

Je te dis ça, car je pense que cela doit t’intéresser, mais surtout, n’en parle pas chez toi.

Tu te demandes, petit Loul, si j’ai parlé. Non, mon tout petiot. A Suzanne seulement. Comme elle m’a conseillé de ne rien dire, je n’ai rien dit. D’ailleurs, je t’ai déjà dit dans une précédente lettre que je trouvais que ce n’étais pas à moi de le faire. Ça serait un peu sans-gène de ma part.

En espérant de toutes mes forces que tu réussiras dans ta démarche auprès de Monsieur Sevette, je te quitte mon petit Loul pour aller chez toi.

Reçois de ta petite gosse qui t’aime de tout son coeur, une foule de bien douces câlineries et de bien tendres baisers.

Mino

PS : J’oubliais de te dire. Cette nuit, j’ai passé 2h½ dans la cave. Il y a eu 2 alertes. Ils n’ont pu parvenir au dessus de Paris. C’est déjà ça. J’ai encore une envie de dormir soint-soint !!! J’espère que je pourrai me rattraper ce soir.

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