L’as de mon coeur

Le 24 Juin 1918

Mon tout petiot chéri,

J’ai reçu ce matin ta mignonne lettre du 22 et je suis très heureuse d’apprendre qu’à présent, tu vas tout à fait bien. Ces petites promenades à travers la campagne vont te faire beaucoup de bien. Quel dommage que je ne sois pas là, à les partager !!! Je vois en effet qu’il est tout à fait impossible d’aller te voir. C’est rageant.

as coeur

Tu me demandes petit Loul, quel as je préfère. Mais l’as de coeur, bien sûr ! N’es-tu pas l’as de mon coeur ? C’est pour me taquiner que tu me demandes ça, n’est-ce pas “petit polisson” ???

J’ai une commission à te faire de la part de Monsieur Sevette. Voici ce qu’il en est : Ton père vient de rendre service à un lieutenant belge. Il lui a procuré une hélice allant sur un gotha qui a été capturé intact dernièrement dans les Flandres. Pour cette hélice, il s’est dérangé plusieurs fois pour aller à Villacoublay.

Pour le remercier, le lieutenant lui a dit qu’il allait faire tout son possible pour te faire venir quelques temps à cet endroit. Ayant pas mal de relations, il espère y arriver. Monsieur Sevette lui a donné ton adresse. Ça fait que s’il réussit, il te préviendra.

Mais voilà la grande question, c’est pour être : réceptionnaire.  Aussi, auparavant, ton père voudrait savoir si cela te conviendrait et si cela n’est pas un peu dangereux. Pour ma part, je le crois. Suzanne  trouve que comme danger, ça vaut le front et qu’il y a du danger partout dans l’aviation. Que maintenant, les appareils sont bien réglés avant de passer dans les mains des réceptionnaires, qu’il fallait voir le côté liberté. J’admets, mais si les dangers sont plus grands, merci, je préfère être privée de mon Loul plus longtemps et qu’il risque moins.

A toi seul de voir ce que tu préfères. Tu peux mieux juger et comparer les dangers que nous. Tu me diras, petit Loul, ce que tu en penses, afin que je donne la réponse à Monsieur Sevette. Tu pourras lui communiquer toi-même si tu veux. J’attends avec impatience la réponse, car je ne sais pas si je dois me réjouir de cette nouvelle. Tu comprends petit Loul, que la pensée de te savoir près de Paris serait loin de me déplaire, mais j’ai peur que ça soit trop dangereux. Aussi, je n’ose y penser.

A midi, j’ai battu le record : 50 cerises à mon tableau. Je ne les aime pas.

J’ai oublié de te dire que j’avais reçu une lettre de Madame Fleuriel  ces jours-ci. Rien d’étonnant que je ne recevais pas de ses nouvelles. Elle adressait ses lettres au 12 avenue Ledru-Rollin. Elle se demandait de son côté pourquoi je ne lui répondais pas. Heureusement, elle met toujours son adresse sur l’enveloppe, aussi les lettres lui sont revenues avec la mention inconnu. Elle a recherché mon adresse et s’est aperçue de son erreur. Cela m’a valu de rester à Paris, aussi j’en suis enchantée.

A part ça, rien de neuf.

En espérant que tu es en bonne santé, je te quitte mon Loul adoré en t’envoyant des millions de bien tendres baisers de ta gosse qui t’aime bien bien fort,

Mino

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