Ta grand’mère s’est éteinte

Le 10 Juin 1918

Mon petit Loul chéri,

J’ai reçu ce matin ta mignonne lettre du 7. Et je suis toujours bien ennuyée de te savoir sans nouvelles.

Mon petit Loul, j’ai une bien triste nouvelle à t’annoncer, qui va te faire beaucoup de peine. Après quelques jours de mieux, ta pauvre grand’mère est retombée encore plus mal, et hier soir, elle s’est éteinte vers 11 heures. J’avais été hier tantôt la voir et je l’avais trouvé bien changée. Elle ne nous reconnaissait déjà plus. A la voir ainsi, je m’attendais au triste évènement d’un moment à l’autre et lorsque j’ai appris tout à l’heure au téléphone, je n’ai été qu’à moitié surprise.

acte DC grand-mere

Quel malheur ! Cela me fait beaucoup de peine car je m’étais déjà bien attachée à elle. Et puis partir si vite, cela est bien triste. Mon pauvre petit Loul, tu n’auras pas été là, ainsi que Pierre, pour ses derniers moments. Et c’est surtout ça qui nous peine tous.

Le plus malheureux, c’est qu’il est impossible de vous prévenir afin que vous puissiez venir à son enterrement. Monsieur Sevette a été hier au bureau de poste pour envoyer une dépêche vous disant qu’elle était très mal, eh bien on n’a pas voulu la prendre. Soi-disant que l’on a pas droit pour une grand’mère, seulement pour père, mère, femme et enfant.

Avec ça, les lettres n’arrivent pas, aussi nous sommes navrés. Si seulement c’était en temps ordinaire. Une lettre mettait deux jours à vous parvenir, vous auriez pu vous débrouiller, mais là, ces maudites lettres ne peuvent vous parvenir. Vraiment, c’est une déveine. Quand ça s’y met, ça va mal.

Heureusement pour elle, ta pauvre grand’mère ne s’est pas vue mourir, et n’a pas souffert. Elle s’est éteinte tout doucement. Comme une lampe qui n’a plus rien à brûler. C’est une grande consolation pour les siens, car vraiment, c’est trop pénible lorsqu’on les voit souffrir.

Tantôt je vais y aller.

Mon petit Loul, je suis bien désolée en pensant combien ma lettre va te faire de chagrin. Si seulement elle pouvait te parvenir très vite. Vous pourriez peut-être encore venir. Mais je doute fort !

Reçois de ta petite gosse qui est bien désolée de te causer de la peine, de bien tristes baisers,

Mino

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