Victime indirecte des gothas

Le 22 Mai 1918

Mon petit gosse de gosse chéri,

J’ai reçu ce matin ta mignonne lettre du 20. Je savais déjà la mauvaise nouvelle concernant Wehlen, mais je n’avais pas voulu t’en parler, pensant que tu le saurais toujours assez tôt ! C’est bien triste ! Ce pauvre garçon n’a jamais eu de chance ! Ce que je plains le plus, c’est sa fiancée ! Que va-t-elle devenir…!!! Je souhaite de tout coeur qu’il n’ait été que blessé ! Et que bientôt nous ayons de meilleurs nouvelles !!! C’est Loulou qui me l’a appris Dimanche dernier. Je savais que Kretzschmar  (tu parles d’un nom rigolo à écrire !) avait écrit chez toi, pour demander ton adresse, afin de t’annoncer cette triste nouvelle. Tout cela n’est pas gai !

wehlen

Cette nuit, nous avons eu une petite alerte. Je dis petite, c’est une façon de parler. Elle a duré 2 heure. Nous nous y attendions bien ! Nous étions même étonnés que depuis quelques jours nous ne les ayons pas. Il faisait si beau. Un clair de lune superbe. J’étais couchée hier, mais je ne dormais pas. J’ai très bien entendu les 3 coups de canon d’alarme et comme ma voisine d’en face m’appelait pour me demander si c’était l’alerte, je me suis précipitée à la fenêtre qu’était ouverte et je me suis cognée la tête. J’en ai vu trente-six chandelles.

Décidément en ce moment, je me fais que du mal. Je suis descendue ensuite à la cave, mais ma tête tournait joliment. Ça m’avait tellement étourdie que je n’ai eu que le temps d’ouvrir la porte et de m’asseoir. Je croyais que j’allais tomber dans les pommes (des mauvaises, naturellement !!!). Une dame a été mouiller son mouchoir à la fontaine et m’a mis quelques gouttes d’alcool de menthe. Cela m’a fait beaucoup de bien.

Ce matin, j’en suis quitte pour une bobosse sur le front et un petit mal de tête. Victime indirecte des gothas ! Qui n’ont pas pu venir jusqu’à Paris. Cette fois-ci, les tirs de barrage ont cogné dur ! Aussi, tout le monde était descendu à la cave. Je suis remontée avant la fin de l’alerte, tellement j’avais envie de dormir. Ce n’est qu’une fois couchée que la berloque a passé. Il y a eu parait-il quelques bombes dans la banlieue. On voit que nous sommes bien défendus ! A présent, ils ne peuvent pas parvenir à Paris.

L’humeur de mon père est changée. Depuis hier soir, il est de nouveau comme un crin. Cela n’a pas duré longtemps la bonne humeur. C’était encore après nous deux qu’il en avait ! J’aime mieux pas répondre, car ça tournerait mal. Aussi, je l’ai laissé crier tout seul et j’ai été m’enfermer dans ma chambre. Ce n’était pas très gai ! Par cette chaleur, j’aurais préféré me mettre au balcon. Dans ma chambre le soir, il n’y a pas d’air. J’ai beau laisser la fenêtre ouverte, l’air n’entre pas.

Enfin, pour me consoler de ma solitude, j’ai parlé à mon grand Loul qui est au dessus de mon lit et j’étais moins triste. J’espère que tu es toujours en bonne santé. Dans cet espoir, je te quitte mon mignon Loul en t’envoyant de bien doux baisers de ta gosse qui pense sans cesse à toi,

Mino

Creative Commons License