On a chahuté

Le 23 Avril 1918

Mon petit Loul chéri,

J’ai reçu ce matin ta bonne petite lettre du 21. Et ce que tu me dis au sujet des photos ne me fait pas déplaisir du tout. Je savais fort bien que mon Loul ne les trouverait pas à son goût. Moi-même, elles ne me plaisent pas du tout. Alors, à plus forte raison mon Loul !!! Je ne me fais pas de bile pour ça. Je sais que je suis toujours mal en photo, aussi cela ne pouvait pas changer. J’avais encore essayé, croyant réussir, mais je vois que je me suis encore trompée. Ce qui me fait rager, c’est que tu n’as pas une seule photo de moi de bien. Si nous étions ensemble, cela ne me ferait rien, car tu aurais l’original, mais étant loin l’un de l’autre, je voudrais que tu aies une Mino présentable. Enfin, comme tu dis, c’est un bien petit malheur.

Ce matin en dépliant le journal, quelle n’a pas été ma joie de voir que les permissions étaient rétablies ! Aussi, je suis comme une vraie gosse. Je ne fais que répéter : “Mon Loul va venir ! Je vais voir mon Loul ! Quand est-ce que mon Loul va venir.” Depuis ce matin, je n’ai rien fait, je ne pense qu’à ça.

J’espère bien te voir bientôt à présent. Pas tout de suite, car tu n’es pas, il me semble, le premier à partir. Mais ça ne fait rien, je suis contente tout de même rien qu’à l’idée que tu pourras venir. Depuis cette offensive, je me demandais avec tristesse quand est-ce que je te reverrai ? Et tout de suite, je m’étais imaginé rester bien longtemps sans te voir. Ce qui était loin de me plaire. Enfin, je ne disais rien et restais malgré tout sage. Maintenant, je ne le suis plus, c’est-à-dire si, mais je ressemble plutôt à un diable.

Mon Loul, je viens de lever le nez dans la rue et qu’est-ce que je viens de voir passer ? Un cheval pie ! J’espère bien que celui-là va nous porter bonheur !!!

Hier, j’ai été chez toi. Loulou n’a fait que de se moquer de toi au sujet de ta culotte qui t’a lâché. Est-elle mauvaise ! Elle me répétait : “Il est vraiment pas convenable ce Lucien. C’est du beau de se promener ainsi !” Alors nous avons chahuté toute l’après-midi. Nous étions, je crois, un peu remontées toutes les deux. Au goûter, nous avons couru l’une après l’autre et pour ne pas qu’elle m’attrape, j’ai été me réfugier dans la cuisine, au grand scandale de Nounou !

Pense, j’avais fait peur à Toto  qui n’osait plus bouger. Il était complètement ahuri. Pauvre Toto. Quel malheur ! Il n’y a que lui de froussard chez toi. Lorsqu’il entend un coup de canon, il se sauve dans la cave au triple-galop. Quel bravoure. Et dire qu’on parlait de te le donner pour emmener dans ta cagna lorsque tu étais dans l’infanterie. Je le vois d’ici.

Pour en finir avec Loulou, elle m’a dit : “Lucien se f…… pas mal de vous.” Alors on a re-chahuté. Comme je lui disais : “Eh bien moi, je lui en enverrai un des miens, comme cela vous ne direz plus qu’il n’est pas convenable, mon pauvre Lucien.” Alors elle m’a répondu : “Chiche ! Je parie que non.” Je serais bien capable de la prendre au mot, mais pour que le pari soit complet, il faudrait que tu le mettes. Quelle gosse que cette Loulou !!!

Nous reparlons aussi souvent du Mesle. Et Loulou se moque de nous, soit-disant que nous mangions de trop. Bien sûr, elle est jalouse de n’avoir pu en faire autant. Ensuite, que le matin, tu ressemblais à Spinelly avec tes cheveux.

spinelly - copie
L’actrice Andrée Spinelly

Moi, je lui ai servi la séance qu’elle nous a faite, un jour que nous allions à Alençon, avec son chapeau. Tu te rappelles ! Aussi nous rions quelquefois.

Sur ce, petit chéri, je te quitte. Tantôt je vais faire une course pour Marie-Louise. Je vais chez sa couturière, ensuite je vais aux Galeries et de là au Louvre. Tu vois, mon après-midi est assez chargée.

En espérant que tu es toujours en bonne santé et avoir le grand bonheur de te voir bientôt, je t’envoie mon mignon chéri une foule de bien douces cerises de ta gosse qui t’aime à la folie,

Mino

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