Je ne suis folle que de toi

Le 19 Avril 1918

Mon tout petiot à moi,

J’ai reçu hier soir ta mignonne lettre du 17, écrite et mise à la poste de Beauvais. Mon petit Loul, j’ai bien peur que tu n’aies pas reçu ma lettre contenant un petit avis que j’avais trouvé dans une de tes lettres timbrées et ouverte par l’autorité militaire.

Dans cet avis, il était dit : “L’emploi de la poste civile est rigoureusement interdit à tous les militaires de n’importe quel grade. En cas de récidive, des recherches seront faites et des sanctions sévères seront prises.” Tu comprends combien je suis ennuyée pour toi, lorsque je reçois une lettre timbrée. J’ai toujours peur qu’on te punisse. Je suis très heureuse d’avoir des nouvelles fraîches, mais je ne voudrais pas qu’à cause de ça, tu aies des ennuis.

Dans une lettre de Pierre, timbrée à la poste de Coincy, il y avait le même avis. Madame Sevette lui a renvoyé. C’est drôle que ni l’un ni l’autre vous n’en ayez pas encore parlé. Sans doute que les lettres ont été perdues.

Je n’ai toujours pas reçu ta lettre du 13. Je crois que je peux en faire mon deuil. Cela fait deux lettres de perdues de toi depuis le commencement de l’offensive. Celle-là, du 13 et celle du 2. Je n’en suis pas plus fière pour ça. Je n’aime pas beaucoup savoir les lettres de mon Loul dans d’autres mains que les miennes.

Je vais te raconter mon après-midi d’hier et tu vas certainement te dire : “Quelle enfant cela fait !”. Eh bien voilà.

Je t’ai dit hier que je restais bien sagement à la maison à raccommoder. Pour commencer, je n’ai pas raccommodé du tout, cela ne me disait rien. Je me suis simplement taillée une petite chemise, très mignonne et je me suis mise à bavarder avec toi, tout en travaillant. Je dis bien bavarder avec toi. Malheureusement, je faisais les demandes et les réponses. Ce qui n’était pas si intéressant, mais cela m’a bien distrait.

Je te disais ainsi : “Eh bien petit Loul, quand est-ce que tu viendras me voir ? Bientôt j’espère. Tu sais, cela fait longtemps que je t’ai pas vu ! Et puis encore plus longtemps que je n’ai pas eu de cerises. Tu sais, je les aime toujours bien !!!”

Alors tu me répondais ou plutôt, je répondais : ” Je ne sais pas ma gosse, je m’ennuie tu sais beaucoup loin de toi. Comme je voudrais aussi cueillir des cerises. Hélas ! tu sais, il n’y a pas moyen. Ce n’est pas l’envie qui me manque, mais il faut que je reste ici.”

Alors j’ajoutais : “Eh bien, lorsqu’on sera tous les deux, pour nous rattraper de toutes ces cerises perdues, il faudra qu’on en attrape une indigestion. Tu veux bien mon Loul ?” Et toi tu répondais : “Vou-vou-vou-y ma gosse !”

Et ainsi de suite toute la journée. Tu vas te dire certainement ma gosse devient folle. Rassure-toi, mon Loul chéri, je ne suis folle que de toi.

Je me distrais comme je peux et la meilleure distraction pour moi, n’est-elle pas de penser à toi !!! J’ai bien travaillé, ma petite chemise est bien avancée. Si j’avais bavardé avec toi de vrai, je crois que je n’en aurais pas fait autant. Ce que j’aurais cent fois préféré. Je n’aurais pas risqué de me piquer, mais plutôt de me faire mordre. Je crois que je parle pour moi, car je ne suis pas si douce que toi.

Aujourd’hui, je vais chez Madame Schwab. Aussi, je vais te quitter pour m’y rendre.

En espérant que tu es toujours frais et rose, je t’envoie mon Loul que j’adore, les plus doux baisers de ta gosse qui les dépose bien amoureusement sur tes lèvres chéries,

Mino

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