Zut pour les boches !

Le 13 Avril 1918

Mon petit Coco chéri,

J’ai reçu ce matin ta mignonne lettre du 11. Mon Loul n’a toujours pas de nouvelles, aussi je suis de plus en plus désolée et j’y perds complètement mon latin ! Vraiment, ce n’est pas de chance. J’espère que cette-fois-ci, pour compenser, tes camarades n’ont rien reçu non plus. Car cela doit te faire encore plus mal au coeur de voir les autres avec des lettres. Et Pierre, reçoit-il des nouvelles ? De chez toi, tu devrais en recevoir aussi. Suzanne me disait hier que l’on t’écrivait au moins deux fois par semaine.

Enfin, j’espère qu’à présent, tu es plus favorisé. Si je savais que ça continue ainsi, je t’écrirais 2 fois par jour, pour être certaine que tu en recevrais au moins une.

J’espère que tu n’es pas trop mal logé dans ta nouvelle demeure et que ton coucou marche mieux.

Hier soir, nous avons eu la visite des “Golgothas”. Je m’en doutais un peu, le ciel était très clair et très étoilé. J’avais dit à Marie-Louise, comme elle était en train d’écrire à sa mère : “Tu vas voir, j’ai un pressentiment que les boches viendront nous voir cette nuit.” Comme il était 9h et que nous étions dans la salle à manger et que mon père était couché, elle me dit : “Allons dans ta chambre, je continuerai ma lettre avant de me mettre au lit, nous entendrons mieux les sirènes par derrière.” Je crois que mon pressentiment ne l’avait pas rassuré du tout. Nous sommes restées près de dix minutes derrière ma fenêtre à regarder, et comme nous ne voyions rien, je lui ai dit : “Zut pour les boches, moi, je me couche, j’ai justement très sommeil.” Elle, cela ne lui disait rien. Elle s’est mise à finir sa lettre et moi, je me suis couchée tout tranquillement. On peut dire qu’après, je me suis payée une de ses bosses comme jamais je n’ai ri de ma vie.

sous gothas

Elle écrivait une ligne et écoutait, et ainsi de suite. Tout à coup, j’entends le tir de barrage, mais très sourd. Je lui dis : “Tu entends ?” Et voilà Marie-Louise affolée, qui me répond : “Mais lève-toi donc, remue-toi.” De la voir, j’en avais mal au ventre, elle avait les yeux qui lui sortaient de la tête. Je me pouffais dans les oreillers et cela avait le don de l’agacer quelque chose de numéro un. Alors je lui dis au bout d’un instant : “Tu crois que c’est vraiment utile que je me lève ?” Boum, au même moment, une bombe. Je réclate de rire de voir sa figure. Elle ne pouvait plus causer, elle agitait ses bras pour me faire comprendre qu’il fallait que je me remue. Alors, je me suis levée et Marie-Louise s’est précipitée dans l’entrée. J’ai appelé mon père qui dormait à moitié. Mais cette petite peste de Marie-Louise voulait filer à la cave, et moi j’étais toujours en chemise de nuit. Elle, au moins, était toute habillée. Ça fait que je n’ai eu le temps que d’enfiler mes bas, de passer une robe, de mettre mon paletot, et elle était déjà dans l’escalier. Je la retiens ! Avec ça, elle avait pris ma petite lampe, ça fait que je nageais dans l’obscurité et pendant ce temps-là, ça descendait toujours, et en vitesse !!! Alors, mon père m’a dit : “Dépêche-toi d’aller à la cave, je vais vous rejoindre tout de suite.” En passant devant le porte-manteau, j’ai pris 2 petits paletots, car j’étais vraiment peu couverte. Et dans l’escalier, j’appelais Marie-Louise pour qu’elle m’éclaire, mais pas de Marie-Louise. Elle était la première à la cave.

C’est moi qui ai la clef du “fumoir”. Cette cave étant à Madame Choisy, elle me l’a laissée lorsqu’elle est partie. J’ai ouvert et tout le monde s’est installé. Moi, je me suis mise un paletot, mon manteau par dessus et l’autre paletot sur les jambes. Ensuite, j’ai demandé à Marie-Louise si elle devenait malade ou folle. Elle m’a dit bien après, qu’en entendant le tir de barrage, elle s’était imaginée que c’était Bertha qui se mettait à tirer sans discontinuer. Ça aurait été gai !

Cela s’explique un peu qu’elle ait cru ça, car hier, Bertha a tiré très tard. Le dernier obus est tombé à 8h20 et a fait beaucoup de bruit, mais de là à tirer coup sur coup, il y a de la marge !

Nous sommes restées pas tout à fait une heure au fumoir, et bientôt les cloches sont venues nous délivrer et nous avons bien vite regagné notre lit. Ce matin, sur les journaux, on annonce 11 morts et 50 blessés. Cela a donc été assez important. C’est tombé pas très loin d’ici, rue St Antoine.

gothas 13-04-1918

Aujourd’hui, Bertha s’est tue. Elle se repose.

Ce matin, j’ai été avec Marie-Louise porter sa malle à la gare Montparnasse. Qu’est-ce qu’il y a comme colis !!! C’est effrayant, si tout cela part, ça m’étonnerait beaucoup. On a attendu comme de bien entendu au moins une demie-heure. Nous sommes rentrées qu’à midi juste. Elle vient de repartir à sa répétition. Ce soir, elle ne couche pas avec moi. Il y a Opéra, ça fait que je ne le reverrai que demain. A midi, j’ai reçu une lettre d’Yvonne qui me charge d’une petite commission. Tout de suite, mon père me dit : “Elle ne te dit pas d’aller là bas ?” !!! Avec les Gothas cettte nuit, cela m’aurait bien étonné s’il n’avait pas encore parlé départ ! Tantôt, il reste là, il commence à faire la semaine anglaise.

Moi, je vais tenir compagnie à Madame Schwab. Aussi, je te quitte bien vite, car il est 3h.

En espérant que mon petit chéri a enfin un petit brouillon de sa gosse, et qu’il est toujours en bonne santé, je termine en lui envoyant de bien douces tendresses et de bonnes cerises de celle qui pense sans cesse à lui,

Mino

PS : Ce matin, encore un cheval pie. Qu’en dis-tu, mon Loul ???

 

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