Le 11 Août 1917 – 10h½

Mon petit chéri,

Me voici installée chez toi comme une reine, tout le monde me gâte comme une enfant. Je t’écris sur “ton bureau” (je ne te chinerai plus avec, il se pose un peu là). J’ai passé une très bonne nuit dans le dodo de Pierre. J’aurais préféré le tien, mais je n’avais pas à choisir. Celui de Pierre est plus commode parait-il à faire. Aussi, c’est pour cela que l’on me l’a donné.

Je vais tout à  fait bien maintenant. Ton papa me disais hier au soir : “Vous êtes guérie à présent, rien que d’être à la maison, cela va mieux.” C’est vrai, tes parents sont si gentils pour moi, que je ne me sens plus fatiguée du tout. Cela me change beaucoup les idées !!! Ne plus avoir mon père qui crie après moi, mais c’est le rêve.

Je suis sotte, figure-toi mon petit chéri que je m’imagine que nous sommes mariés et que je suis tous la garde de tes parents pendant ton absence. C’est bête, mais c’est comme ça, on me met tellement à mon aise que l’on dirait presque que  je suis chez moi.

Ce matin, c’est ta maman qui est venue me réveiller. Si tu savais comme je suis heureuse d’être entourée de tant d’affection. Ça me change tant avec la maison ! Je ne sais si peu ce que c’est les caresses d’une mère ! En Madame Sevette, j’ai retrouvé une seconde mère. Elle m’a embrassé et est restée près de moi un long moment à bavarder et je suis descendue déjeuner. J’avais une grande tasse de cacao qui m’attendait.

Tu vois que ta Mino est bien soignée !!! Ensuite, j’ai travaillé à du linge dans la chambre de Suzanne. Et après, j’ai fait mon lit. En ce moment, je t’écris pendant que Suzanne fait sa toilette. Ensuite, cela sera mon tour et l’heure du déjeuner arrivera vite après.

Ce qui m’ennuie beaucoup, c’est que je n’aurais pas de tes nouvelles aujourd’hui. Mon père doit me renvoyer tes lettres sous enveloppe. Aussi celle d’aujourd’hui, je ne l’aurai que demain pour mon Dimanche. Enfin, cela n’est que momentané. Mardi, j’en recevrai une directement. Hier, avant mon départ, j’ai reçu celle du 8. Donc mon père doit me renvoyer celles du 9-10-11.

Ta maman est venue me chercher vers 3 heures et nous sommes allées chez Madame Schwab. C’était justement la fête de Suzanne.

Le soir, nous sommes rentrées toutes les deux Suzanne et moi. Madame Sevette et Madame Petitjean étaient parties devant. Quel bonheur de rentrer comme ça à l’heure où l’on veut et de ne pas se faire gronder comme cela m’arrive si souvent !!! Je suis certaine que tu es très heureux et très tranquille de me savoir chez toi. N’est-ce pas mon chéri !!!

Malheureusement, le temps va me paraître bien court et les huit jours vont passer trop vite et cela me semblera dure de m’en aller. Ce qui me console un peu, c’est ta maman disait hier que l’on avait promis que dans 10 jours, ta demande serait signée du ministre. Alors après, cela ne serait peut-être plus long pour que tu viennes au Plessis. Aussi, l’endroit serait tout trouvé pour aller à la campagne.

Ton père m’a demandé ta citation officielle pour la faire paraître sur l’Illustration, il me la rendra après. Aussi, il m’a demandé de bien vouloir te demander ta 1ère lorsque je t’écrirai, comme cela il fera mettre les deux. Je sais que la 1ère, c’est toi qui l’a, tu l’avais gardé car il y avait d’autres citations avec. Envoie-la moi tout de suite si cela ne te fait rien.

Cette nuit, tes parents ont eu une émotion. Figure toi qu’ils croyaient que j’étais tombée en bas de mon lit !!! J’ai bien entendu Madame Sevette venir me voir sur la pointe des pieds, mais je ne savais pas pourquoi ! C’est un grand tableau dans la chambre de ta grand’mère qui est tombé. Le plus drôle, c’est que cette pauvre femme croyait que c’était une bombe qui venait de tomber, aussi de peur qu’elle soit asphyxiée, elle a vite fermé sa fenêtre. N’entendant rien, elle a rouvert et regardé s’il y avait des aéros dans l’air. Mais en ouvrant sa fenêtre et ses persiennes, elle a constaté le dégât !!! Aussi, tu pense si nous avons ri !!!

Tantôt, nous devons aller au Champs Elysées nous asseoir.

Là-dessus, je te quitte mon Loul Aimé. Il parait que je dois faire ma toilette tout de suite.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je t’envoie mon petit Lou Aimé les plus tendres baisers de celle à qui ne manque que toi pour que son bonheur soit complet,

Mino

PS : Hier, j’ai tout de même pu m’acheter du papier un peu potable