Je faisais riche !

Saint Julien, Le 2-9-17

Mon petit Loul Aimé,

Voilà bien ma veine ! Tu peux venir facilement à Paris et je n’y suis pas. Tu as très bien fait de venir chez toi si tu t’ennuyais, cela t’aura un peu distrait. Tant qu’à moi, je ne me plains pas, c’est bien fait pour moi, je n’avais qu’à ne pas tomber malade, je n’aurais pas été à la campagne et de cette manière, je t’aurais vu.

Au reçu de ta lettre, j’ai été prise d’une crise de larmes, à un tel point que la cousine de Mme Fleuriel qu’était près de moi croyait qu’il t’était arrivé quelque chose. J’étais en train de me débarbouiller lorsque Mlle Suzanne me l’a apporté. Rien qu’à voir le cachet de l’avenue Parmentier et ton écriture, j’ai tout de suite compris, je me suis assise sur ma malle et j’ai commencé à lire. Quel chagrin j’avais ! Heureusement, personne n’était auprès de moi. Tout le monde était après Madame Fleuriel qui venait de recevoir une lettre de son mari lui annonçant son arrivée pour ce soir. J’ai pu pleurer à mon aise dans la tenue de débarbouillée. Je faisais riche !

Je t’assure que si le train du matin n’était pas parti, je l’aurais pris pour arriver à Paris à 3 heures. Je ne voulais plus m’habiller après. Aussi, Madame Fleuriel n’était pas contente car j’ai manqué de la faire arriver en retard à la messe.

eglise st julien

Durant la messe, je n’ai fait que pleurer. En revenant, je n’ai eu que le temps de me déshabiller et de me sauver dans le pré derrière la maison. Là, j’ai pu pleurer à mon aise. On se demandait ce que j’étais devenue, car je n’avais rien dit avant de partir. On m’appelait de tout côtés pour le déjeuner. Aussi, lorsque je suis rentrée, Madame Fleuriel était très mécontente. Elle m’a dit qu’elle ne voulait voir pleurer personne chez elle. Qu’elle n’en était pas la cause et qu’elle voulait que je sois très gaie pour l’arrivée de son mari.

Merci ! Si elle s’imagine que je vais rire parce que Monsieur Fleuriel arrive ! J’ai trop de chagrin. Aussi, j’ai prétexté que j’avais des lettres à écrire et je suis venue m’enfermer dans ma chambre. Là, au moins, je peux pleurer tranquille.

Ce qui me fait rager, c’est que durant le mois de Juillet et Août, tu ne pouvais venir et maintenant que je suis ici, tu es près de Paris. Ce qui me fait encore plus rager, c’est que je t’écris tous les jours et que tu ne reçois rien.

Maintenant, je n’ai pas envie de rester, il me semble que tous les jours je m’ennuie comme aujourd’hui.

Penses-tu revenir Dimanche, dis-le moi, je rentrerais tout de suite. Tu penses que la campagne ne me fait plus de bien lorsque je sais que je pourrais te voir et que c’est par ma faute que je me prive d’un peu de bonheur. Mais, comment se fait-il que tu ne reçoives pas mes lettres ? Celle-ci alors, tu ne l’auras peut-être que dans 5 jours.

Dieu que je suis énervée aujourd’hui ! Je crois que je vais avoir une crise de nerfs avant ce soir. Je ne fais que me tordre les bras et les jambes. Aussi, j’écris très bien.

Le bon Dieu m’a puni : hier soir, j’ai trop ri ! Madame Fleuriel nous a mises à la porte toutes les trois, Mlle Suzanne, Gertrude et moi, nous avons éclaté de rire dans la prière. Gertrude a bavé dans la figure de Madame Fleuriel, aussi on ne pouvait plus se tenir. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui je pleure. Je t’ai dit, c’est bien fait pour moi.

Je termine car je ne sais ce que je dis. Je suis énervée !!!

J’espère que cette lettre te parviendra et qu’elle te trouvera en bonne santé.

Reçois d’une Mino en larmes de bien tristes baisers,

Mino

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