Le bracelet-montre de mes rêves

Le 14 Juin 1917

Mon Loul Aimé,

J’ai reçu hier soir ta mignonne lettre du 11 contenant tes gentils souhaits. Bien qu’ils soient arrivés un peu en avance, ils m’ont fait excessivement plaisir. Je dirais même plus plaisir que le jour même, parce qu’ainsi, tu étais le premier de tous à me les offrir.

Maintenant, je vais parler franchement, puisque tu me le demandes (ai-je donc l’habitude de dire le contraire de ce que je pense, dis mon Lou ?). Donc ce matin, Suzanne est venue comme je m’en doutais me faire la petite commission dont tu l’avais chargé. Je savais qu’elle devait venir puisque ta lettre m’annonçait sa visite pour aujourd’hui. Elle m’a donc remis de la part la mignonne montre qui m’a rendue folle de joie !!! Si tu avais été là, mon petit chéri, je t’aurais dévoré de baisers tellement j’étais contente. Te dire le plaisir que ça m’a fait est impossible. Je peux dire que jamais j’ai reçu un cadeau qui me fasse tant plaisir ! Il faut dire que tu es tombé juste. Tu as comblé, je suis sûre sans le savoir, un désir que je caressais depuis des années. Avoir un bracelet-montre était mon rêve. Aussi je ne pourrai jamais dire combien je suis heureuse…..

bracelet-montre

Mon Lou Aimé, je te remercie mille et mille fois, tu es un Amour. Comment pourrais-je te remercier ? Tu es si loin ! Si seulement tu étais là, je t’aurais mangé de baisers. Mais hélas ! Il faut que je modère mon appétit. Je suis tellement à ma joie que j’oublie le principal. Je n’ai pas encore répondu à ce que tu me demandes.

Et bien, mon petit Coco, je n’ai pas cru du tout à ce que tu m’as raconté. Tu as du le voir tout de suite, puisque je t’ai dit : “Je ne crois pas beaucoup ce que tu me dis, c’est louche.” En plus de ça, tu avais un air mystérieux que tu n’avais pas d’habitude, aussi je me suis dit : “C’est sans doute pour moi et Loul veut m’en faire la surprise.” Je pensais bien que tu n’allais pas porter un petit bijou pareil. Comme ça ne pouvait pas être pour une autre personne que pour moi, je n’ai pas cherché plus loin et je me suis dit : “C’est pour moi.”

Tu vois, je ne me suis pas trompée. Pourquoi m’aurais-tu fait choisir un bijou si ce n’avait pas été pour moi ? Aussi, je l’ai choisi comme pour moi. Ça n’a pas été long, pour la bonne raison que c’était cette forme-là que je rêvais. Tant qu’au petit mensonge, il est bien excusable et tout excusé. Tu m’as fait rire en lisant ta lettre. Tu as l’air mon Coco de t’excuser depuis le commencement jusqu’à la fin. Quelle modestie !!!

Quelle gentille violette ! Je voudrais que tu voyes ma chambre (si tu la voyais, tu y serais !!!…..), elle est couverte de roses. Ce n’est que fleurs sur fleurs, ça embaume. On m’a gâté. Pas tant que toi aussi !!! Malheureusement, il manque la plus belle de toute et c’est celle-là que j’aurais préféré avoir aujourd’hui. Il manque aussi des délicieuses cerises. Aussi, j’étais tellement vexée que ce matin, j’en ai pas voulu au marché. Je les ai laissées pour compte et devant leurs nez, j’ai acheté des fraises. A leur tour d’être vexées, na !!!

Je t’écris la montre au bras. Elle ne me quittera plus à présent. Je t’envoie quelques pétales de mes jolies roses, que je viens de couvrir de baisers pour toi.

Je ne t’ai pas raconté mon après-midi d’hier. Je voulais t’écrire le soir, mais j’étais tellement fatiguée que je me suis couchée de bonne heure. Il faut croire que j’avais bien sommeil. Je me suis endormie avec ma lampe allumée. Heureusement, je me suis réveillée à minuit et je l’ai soufflée.

petit parisien 13-06-17

Mon impression sur la matinée à l’Opéra est très bonne, sur le théâtre encore plus. Ça vaut la peine de se déranger. La pièce est très jolie ! C’est bien malheureux que l’on comprenne rien. Enfin, la musique me plait, c’est déjà quelque chose.

→ Ecouter la marche triomphale de l’Aïda de Verdi

J’ai très bien vu Marie-Louise, premièrement en prêtresse, habillée de voiles jaune, ensuite en marquis habillée de gris. Dans ce travesti, elle est ravissante. Tu te serais follement amusé à la voir faire sa cour à une jeune marquise. Ça dure à peu près un quart. Ensuite on ne la voit plus.

Le plus malheureux de l’histoire, c’est que moi, j’étais placée comme un pacha dans un fauteuil de parterre et Suzanne et Loulou étaient au dernier étage. J’étais bien ennuyée pour elles. Enfin, elles étaient tout de même très contentes. J’aurai été à leurs places, je n’aurais certainement pas reconnu Marie-Louise. Ça était un succès. On a bissé et rebissé les artistes et traîné le chef d’Orchestre sur la scène. C’était roulant.

En espérant que ma lettre te trouvera en bonne santé, et en te remerciant encore mille et mille fois, je t’envoie mon Amour les plus tendres baisers de celle qui t’adore à deux genoux,

Mino

Creative Commons License