Je t’écris en cache-corset

Le 12 Juin 1917 – 22 heures

Mon mignon Coco,

J’ai reçu tout à l’heure à 19h ta gentille lettre du 10. Craignant de ne pouvoir y répondre demain, ou très vivement, je le fais tout de suite. Tu penses, demain il faut que je sois à 1h½ à l’Opéra, c’est de très bonne heure pour moi, surtout que depuis huit jours, ma femme de ménage m’a plaqué. Comme il faut que j’aille chez la coiffeuse le matin de très bonne heure, je n’aurai juste que le temps de préparer le déjeuner et de m’habiller.

Ce qu’il y a de plus drôle, c’est que je n’avais rien à me mettre demain. J’ai vendu mon petit corsage avec la ceinture qui avait si peu de succès. Aussi je n’avais plus rien. J’ai été forcée de me faire tailler une blouse tantôt et je viens juste de la finir à l’instant. Je t’assure que cet après-midi, j’ai mis les bouchées doubles pour m’avancer.

Marie-Louise est venue me trouver à 4h. Elle avait encore deux places à sa disposition, aussi elle venait me les apporter pour Suzanne et Loulou. C’était très gentil de sa part mais je ne savais pas si cela leur conviendrait, aussi j’ai été donner un coup de téléphone chez toi. Comme je le pensais, il n’y avait personne pour me répondre. A tout hasard, j’ai été chez Madame Schwab. J’ai trouvé Suzanne et Loulou en train de travailler. Aussi, elles ont accepté avec plaisir, elles étaient enchantées.

Donc demain nous irons toutes trois en matinée, mais nous ne serons pas placées ensemble. Suzanne sera avec Loulou, et moi avec Marie-Louise. Elle ne viendra me retrouver qu’à la fin de la pièce. Elle joue dans les premiers actes. Donc pour t’en finie avec mes travaux, Marie-Louise m’a mise bien en retard, j’ai été obligée de travailler après dîner et ensuite je viens de me laver les cheveux. Comme tu vois, je ne perds pas mon temps. Je t’écris comme ils sèchent. Ils sont sur mon dos et pour être plus à l’aise, je t’écris en cache-corset. Je ne me gène pas. Il fait si chaud que je me trouve bien que comme ça.


cache-corset

Maintenant assez parlé de moi, un peu à toi. N’était vexé !!! Pauvre coco chéri ! Il n’y a vraiment pas de quoi. Je suppose que tu n’es pas jaloux d’une lime par hasard. L’effet de la manucure ou plutôt le toucher n’en est pour rien dans l’état nerveux dont je te parlais. Ce qui m’agace sensiblement les nerfs, c’est le frottement de la lime contre les ongles. Je n’ai jamais pu arriver à me les limer moi-même, je me les coupe toujours, ça fait bien moins joli, je le sais, mais je ne puis supporter ce frottement, donc c’est très joli que cette brave femme soit arrivée à quelque chose avec moi, je n’aurais pu en faire autant moi-même. Tu vois qu’il n’y a pas de quoi être vexé. Il me semble que tu dois comprendre l’effet que ça peu produire, surtout sur une personne aussi peu nerveuse que moi.

D’ailleurs, tu dois savoir que rien que les petits tapotements sur les ongles me crispent au plus haut point et pourtant ce n’est pas en contact direct comme une lime, c’est en contact avec ta peau, ce qui est bien pis ! Ce n’est pas à comparer, console-toi chéri, ce qui est ta propriété reste ta propriété, toi seul à ce grand pouvoir !

Malgré tout, j’accepte pour calmer mes nerfs les folles caresses de mon Loulou. Malheureusement, je ne les sens pas beaucoup !

Pauvre Ponchel ! D’après ce que tu me dis, il a du être bien touché. Il doit être dans une triste position pour pouvoir s’allonger, d’après la place de sa blessure. Comme il a du être content de te voir ce pauvre garçon. Ça me fait beaucoup de peine pour lui, il est si sympathique et si intéressant ! Il doit se trouver si seul loin des siens. J’espère pour lui qu’on l’enverra à Paris. Madame Sevette irait le voir souvent, cela le distrairait.

Mon petit Lou, je vais te quitter pour me mettre au dodo, je suis assez fatiguée ce soir.

En espérant que tu te portes toujours très bien, je t’envoie mon grand chéri une foule de caresses pas trop féroces de celle qui t’aime éperdument,

Mino

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