Messieurs les censeurs

Le 28 Mai 1917

Petit Lou aimé,

J’ai reçu ce matin de tes nouvelles à ma grande joie. J’ai eu d’abord ta lettre du 25 à 8h et celle du 24 à 10 heures. Cette dernière a été contrôlée, on m’a même censuré un mot. Je n’ai pu arrivé à le reconstituer tellement c’est brouillé au crayon encre. Je ne vois pas en quoi cela pouvait gêner messieurs les censeurs. Voici la phrase avec le mot en moins : ” Me voici réinstallé à la 4 ; ce n’est pas très gai…. !!!!

28-05-17

Je n’ai pas compris. Toujours est-il que la ville de Meaux à laquelle tu faisais allusion n’a pas été censurée. C’était pourtant plus intéressant pour eux. A part ça, ça ne m’a pas empêché de lire ta lettre en entier. Ça serait très chic, si tu venais du côté de Meaux. Je pourrais aller te voir !

Heureusement que tu étais en permission au moment du bombardement ! Décidément, les boches en voulaient à votre escadrille. Enfin, s’il n’y a eu d’accident de personne, c’est le principal.

Tu as enfin (!!!) ton costume noir. Le malheureux se sera payé du voyage et t’aura donné beaucoup de mal, à Madame Sevette aussi. Il parait que tu voulais qu’elle te le dédouble, après tout le temps qu’elle a passé, cela lui faisait mal au coeur. Est-ce qu’il déteint toujours ? J’espère pour toi que non.

On se met bien à ton escadrille, on se paye du phono jusqu’à entendre un air sur le 128e. C’est tout à fait de circonstance. Est-ce exprès pour toi que ce camarade a eu cette intention ? C’est très gentil de sa part. En premier, je croyais qu’il était question de ma composition sur le 128e. Je me demandais comment il se faisait que ça se jouait, mais après je me suis aperçue que moi, c’était “Gloire au 128e”. On va peut-être t’envoyer chercher un coucou neuf puisque tu n’en as pas ?

Gloire et honneur

Hier, comme je te l’ai dit, j’ai été chez Marie-Louise. Je l’ai trouvé sous le coup de grandes émotions. Espierre venait de la quitter depuis une demi-heure lorsque je suis arrivée, aussi était-elle un peu comme folle. Pour comble de malheur, elle était malade comme un chien. Elle venait de se trouver mal quelques minutes avant son arrivée. Elle était couchée, toute seule chez elle, sa mère étant partie au Vésinet voir son frère. Lorsque tout à coup, elle a été prise de malaises et de vomissements qui se sont terminés par un évanouissement, elle est restée ainsi, elle ne sait combien de temps.

Toujours est-il qu’elle a entendu sonner et que cela l’a tiré de s torpeur et qu’elle a crié : “Entrez”, croyant que c’était moi. La clé était sur la porte. Personne ne répond, elle se lève et va ouvrir et qu’est-ce qu’elle voit, Espierre. Elle remanque de se trouver mal. Enfin, après ça allait tout de même mieux. Il lui annonce qu’il est seulement de passage à Paris et qu’il repart le soir même, et s’en va aussitôt.

Après, j’arrive et elle me raconte tout ça. Elle avait vraiment mauvaise mine. Enfin, cette nouvelle l’avait un peu retapée. Elle a eu le courage d’aller chez la coiffeuse et ensuite de s’habiller pour aller le rejoindre à l’Opéra. Ce qui ne lui plait pas, c’est que la permission de 8 jours est reculée de 2 mois. Pauvre Marie-Louise.

Enfin, j’espère pour elle que tout s’arrangera pour le mieux. Mais elle n’a pas de chance, chaque fois qu’il vient, elle est toujours malade, on dirait que c’est un fait exprès. enfin, j’espère que cela n’aura pas de suite. La chaleur a du certainement en être pour quelque chose dans son malaise. Il faudrait qu’elle se repose, elle se fatigue de trop. Demain, je la revois, nous devons aller changer la bicyclette.

Je bavarde, je bavarde, et pendant ce temps, Germaine m’attend. Enfin, elle m’attendra !

Le petit jeune homme d’en face est toujours à sa fenêtre, il y a bien 1 heure qu’il regarde chez nous. C’est tordant, si seulement tu étais là, nous dégusterions de délicieuses cerises à son nez !!!

Je te quitte pour courir chez Germaine.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je t’envoie mon mignon chéri une foule de bien bien doux baisers de ta

Mino

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