Voilà les femmes facteurs

Le 7 Mai 1917

Petit Loul Chéri,

J’ai reçu ce matin ta gentille lettre du 4. Pauvre mignon ! N’avait le glos cafal !!! Si seulement je pouvais me faire petit oiseau, je volerais près de toi, chasser le vilain animal, je suis bien sûre que j’en serais victorieuse ! N’est-ce pas mon Lou ? Je me blottirais dans tes bras et tu n’y penserais plus du tout. Au diable le cafard et sa suite !

Au diable le vaguemestre qui n’apporte pas de lettre ! Nous nous en moquerions bien puisque nous serions nous deux rien que nous deux !!! Malheureusement, je n’ai pas ce pouvoir et je me désole de mon impuissance. Le peu que je puisse faire pour distraire mon coco chéri, c’est de lui écrire une longue lettre et encore, le vilain vaguemestre ne se dérange même pas pour aller lui porter. Méchant égoïste qui garde tout pour lui, je t’en veux de donner le cafard à mon petit ange de Bon Dieu. J’espère que tu ne recommenceras plus et que tu vas immédiatement lui porter cette lettre.

Décidément, je ne comprends pas ton capitaine. Il devrait te donner ta permission puisque tu as rien à faire. Ça ne ferait de mal à personne. N’es-tu pas de mon avis chéri ? Vous allez tout de même pas travailler tout le temps ? Va-t-on vous remplacer bientôt ? Il y a plus d’un mois que tu es là (là, pour moi, c’est très vague, car je ne sais pas du tout où tu es).

Hier, j’étais un peu comme toi le 4, je n’avais pas eu ma lettre le matin, aussi j’avais un tout petit peu le cafard. Aujourd’hui il s’est envolé comme on me donnait la lettre. En voyant que tu avais aussi le cafard, je me suis dit que moi, je n’avais pas le droit de l’avoir, et il a disparu.

Pour en revenir à hier, j’ai lu une bonne partie de l’après-midi pour me distraire. Je n’ai rien compris à ma lecture, ou plutôt, j’ai été très intriguée par ce que j’ai lu.

Pourquoi un homme trouve-t-il plus de plaisir dans une autre femme que dans sa femme légitime. Voilà ce que je cherche depuis hier, et voilà ce que je ne comprends pas du tout. Pourquoi… vaste point d’interrogation. C’est pareil pourtant. Je voudrais bien savoir pourquoi, car je ne trouve pas cela très flatteur. Quand je te verrai, je te montrerai mon livre et je veux avoir des explications détaillées sur certains passages, si tu veux bien me les donner. Mon bouquin est bien insignifiant, c’est une revue de modes.

Après ma lecture, j’ai été voir Germaine. Ensuite, nous avons été jusqu’à la Bastille chercher La Liberté pour mon père. Pour mon Dimanche, j’ai fait une grande promenade.

Le soir après dîner, nous avons aperçu tes parents qui passaient avec Pierre. Ils allaient sans doute le reconduire à la gare de Lyon. Je ne savais pas qu’il devait venir en permission. Il est vrai qu’il lui a pris un fort mal de tête. Mademoiselle Paulette est furieuse de voir passer tes parents dans leur voiture. Elle trouve qu’ils ont du toupet de s’en servir : “Cette auto étant au fiançaille de Mlle Germaine, elle lui appartient aussi pourquoi que ses parents s’en servent.” Il n’y a rien a lui faire comprendre, tant ça déplait à cette demoiselle, c’est vraiment fâcheux !

La famille Sevette en voiture

Je viens de laisser ma lettre en panne. J’avais entendu le bruit familier de la voiture des facteurs qui passe rue de Charonne. Je ne me trompe jamais avec une autre voiture. C’était en effet elle. Je voulais voir si j’avais une lettre à ce courrier, ça m’ennuie tellement de te savoir en compagnie du vilain cafard que je voudrais avoir une nouvelle lettre. J’ai été de la revue, rien pour moi.

C’est une femme aujourd’hui. Elle était avec le facteur, il la met au courant de la tournée. Ça fait drôle. Après les femmes télégraphistes, voilà les femmes facteurs.

excelsior-30-05-17

Hier, nous avons reçu une lettre de Monsieur Louvel. Il s’inquiète au sujet de ta santé et il demande des nouvelles de Monsieur le fiancé de Mlle. Ce qu’il est cérémonieux avec moi maintenant. Avant, il faisait pas tant de chichis, j’étais Germaine tout court. Enfin, cela m’a fait quand même grand plaisir, j’ai trouvé ça gentil de sa part. Il est en permission.

Je cherche si je n’ai plus rien de nouveau à te dire. Je ne trouve plus rien pour aujourd’hui.J’espère que ma lettre te trouvera en bonne santé et que le vilain cafard t’aura quitté pour toujours.

Dans cet espoir et dans l’attente de lire une gentille lettre, je termine en t’embrassant mon amour bien bien tendrement (sans dent).

Celle qui t’adore follement,

Mino

 

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