Cartomancienne

Le 6 Mars 1917 – 20 heures ½

Mon petit Lou Aimé, Comme je te l’ai promis tantôt dans mon mot, je viens t’écrire ce soir plus longuement. Seulement je ne puis t’écrire à l’encre, vu que je suis couchée. Je suis installée délicieusement bien dans mon lit, aussi je vais pouvoir te raconter mille choses. Premièrement j’ai trouvé en rentrant deux mignonnes lettres de toi, celles du 4 et 6. Te voilà donc de retour à ton escadrille. Ce qui m’amuse, tu me mets : « J’ai terminé les vols de nuits. » Tu ne les as pas encore commencé pour la bonne raison que tu n’as jamais pu voler le soir. Enfin, maintenant je ne pense plus te voir avant ta permission. Crois-tu que c’est pour le mois d’Avril ? Autant que possible, arrange-toi pour que ça ne soit pas pour le commencement du mois, du 5 au 12 par exemple. Il y a d’abord les fêtes de Pâques à ce moment-là. Pâques est le huit. Ensuite, tu dois comprendre la seconde raison. Mon petit Lou, ce soir je suis très contente, même je pourrais dire joyeuse. Tu vas te demander pourquoi puisque je suis loin de toi et que loin de toi je suis triste et bien voici pourquoi. Je te disais tantôt que Marie-Louise m’avait demandé de sortir avec elle, quand je pensais que nous resterions à la maison. Elle voulait que je l’accompagne chez la cartomancienne. Donc j’ai accepté et nous voilà parties. Auparavant, je m’étais muni d’une feuille de papier afin de te mettre un mot dans une poste. Chose que j’ai fait. Nous partons rue Pigalle. Il y avait tellement d’affluence, qu’on nous a prié de repasser…. Marie-Louise était pas satisfaite. Elle tenait à être renseignée de suite. Elle m’indique un autre endroit et nous voilà repartis. Il fallait reprendre le métro. Aussi, je me suis souvenu de la Poste de la rue Fontaine et j’ai pensé que je ne pourrais trouver mieux qu’un endroit où nous étions ensemble. J’ai donc écrit mon mot là, un peu vivement à cause de Marie-Louise. pigalle-joffrin Et nous avons repris le métro ensuite à Pigalle pour descendre à Joffrin. Là, nous avons été plus heureuses, la personne se trouvait chez elle, et il n’y avait personne qui attendait. Marie-Louise s’est fait faire le Grand Jeu, et je suis restée baba devant tout ce que la bonne-femme lui a sorti. Aussi, j’espère que tu ne m’en voudras pas, je n’ai pu résister au désir d’en faire autant, et  à mon tour, je suis passée sur le siège de la consultante. Mon Lou Aimé, je ne le regrette pas, si tu savais tout ce qu’elle m’a dit de bon. Je ne suis pas superstitieuse, mais franchement elle m’a dit des choses qui sont tellement vraies que j’ai bien été obligée d’y croire. Tout ce qu’elle m’a dit, c’est tout mon rêve réalisé. Comme je voudrais que tu sois là pour te raconter tout ça. Par lettre, c’est compliqué et ça serait bien trop long. Aussi, si je suis si joyeuse ce soir, c’est pour ça, tu ne peux t’imaginer combien cela m’a fait du bien. Je suis si contente, j’espère pouvoir te raconter tout ça bientôt. Il parait que tu dois venir avant les premiers jours d’Avril et que tu m’en avertiras par une lettre. Elle m’a même dit : « Ce soir, vous aurez des nouvelles de ce militaire, il vous annoncera un déplacement. » En effet, tu me disais dans ta lettre ce soir que tu regagnais ton escadrille. C’était vrai. rire jaune Tant qu’à la question coeur, elle ne me connaissait pas et je n’ai pas ouvert la bouche. Elle m’a tout de suite dit : « Vous avez une personne que vous connaissez qui vous aime follement et bien sincèrement, vous l’aimez du reste beaucoup aussi, vous avez une union de coeurs qui est merveilleuse, vous vous adorez. Ce jeune homme, mademoiselle, je vous en fait tous mes compliments, il est mignon, seulement il a un gros défaut, il est très jaloux. Il est tellement fou de vous et il s’est tellement attaché à vous, qu’il a toujours peur que l’on vous prenne à son affection. C’est un grand protecteur pour vous. Il ne voit que par vous. Vous pouvez vraiment vous flatter d’être aimés tous deux. C’est à qui aimera le plus. Vous serez très heureux plus tard, vous avez l’amour avec vous et de l’autre coté de la balance, vous avez l’argent. » Qu’en dis-tu mon Lou adoré ? N’est-ce pas tout ton coeur qui parlait ? Moi je trouve ça merveilleux. Marie-Louise en était stupéfaite. Je ne te dis qu’une toute petite partie de ce que l’on m’a appris, tout le reste est dans le même genre, c’est te dire combien c’est bon. Je te raconterai tout ça la prochaine fois que je te verrai. Lorsque j’aurai le cafard, j’irai consulter la bonne femme, elle m’a tellement remonté aujourd’hui !!! Tu vas certainement me dire à__ Il m’est arrivé une catastrophe hier soir, ma lampe est tombée et s’est éteinte, aussi n’ayant pas d’allumettes dans ma chambre, j’ai été obligée de laisser bien à regrets ma lettre. Je la reprends au point où je l’avais laissée. Il est 9 heures. Oui, je disais que tu vas certainement me traiter de petite folle d’attacher tant d’importance à tout cela ! Pourtant, ça m’a bien dir combien tu m’aimais. Et ça c’est vrai. Tu le sais aussi bien que moi. Comme de mon coté,  que j’étais folle de toi et bien c’est la vérité. Le reste, bien sûr, je n’y attache que peu d’importance, exemple que j’allais gagner beaucoup d’argent dans une loterie. Ça, je m’en moque, si ça arrive, tant mieux, ça ne me ferait pas de mal, mais si ça n’arrive pas, tant pis. J’aurai voulu que tu nous voies sortir de chez la bonne femme. Nous étions comme deux folles. Marie-Louise de son côté n’avait que des bonnes choses à venir. Aussi, c’est à qui causerait. Nous parlions toutes les deux ensemble. Elle ne voyait que son bonheur et moi le mien. C’était roulant. Enfin, je verrai bien ce qui arrivera. Si cela ne m’a pas fait du bien, cela ne me fera pas de mal non plus. Je ne risquais rien. Aussi, j’espère que tu ne m’en voudras pas. N’est-ce pas mon petit Lou, d’ailleurs, tu en es incapable. Maintenant, je vais répondre à une question d’une de tes dernières lettres. Tu me demandes comment est mon nouveau chapeau. S’il est grand ou petit ? Je te répondrais bien une chose : « Viens t’en rendre compte toi même, comme ça j’aurai le bonheur de te voir. » Mais je sais bien mon petit Lou que s’il tenait qu’à toi, tu viendrais tout de suite. Donc je ne vais pas te faire languir et comme je sais que cela t’intéresse, je vais t’en faire la description. Il est ni grand ni petit. C’est assez compliqué à imaginer. Il a une vague ressemblance à un certain chapeau de paille gris que je portais l’été dernier et qui était, il me semble, assez à ton goût. Mais au lieu d’être gris, il est noir. En paille et soie, garni de dentelle de crin. J’espère que vous serez bons camarades ensemble. Voici une question de répondue. chapeau-tennis Maintenant, je vais t’apprendre autre chose : nous avons failli être victime d’un accident d’auto, Lundi soir. Monsieur Sevette nous reconduisait quand arrivés à la hauteur de l’avenue Parmentier, près de l’emballeur, il y avait un petit rassemblement. De loin, on ne le voyait pas pour la bonne raison que c’est pas clair à cet endroit. Aussi nous sommes arrivés dessus sans nous en apercevoir. Il y eut des cris déchirants et un énorme choc à la voiture. Tu parles d’une secousse ! Suzanne, Loulou et moi, nous n’avions pas bougé. Moi, j’ai eu grand peur, je n’osais me retourner, j’avais une de tes petites photos dans la main, Madame Sevette me l’avait donné avant de partir, je l’ai pétri comme si cela pouvait me protéger ! Enfin, après nous avoir tous palpé, nous n’avions rien, la voiture non plus. Et il n’était passé personne dessous. Voici ce qui était arrivé. La famille Sevette en voiture Des ouvriers étaient en train de rentrer des poutres de fer dans une maison, il y en avait une moitié qui dépassait du trottoir, sur la chaussée. De loin, on ne voyait rien, aussi ils se sont mis à crier en voyant le danger. Et l’énorme choc, c’est la voiture qui est passée sur les poutres. Elle a du s’arranger. Enfin, c’est de la veine que nous n’ayons pas versé. Lundi, j’ai fait la connaissance du petit aviateur Pouchel. Il est venu avec Paillard. Il est très gentil. Il me plait pour la bonne raison qu’il a les mêmes cheveux que toi. J’ignore si les siens ont un courant électrique comme les tiens ! Nous avons beaucoup causé de toi ensemble. Il regrette beaucoup de ne pas te connaître. Il m’a parlé d’un de ses camarades qui était à la C.64. Comme je lui disais que dernièrement tu étais avec cette escadrille, il m’a demandé où elle était maintenant, je n’ai pu lui répondre, puisqu’elle a déménagé. Je lui ai dit qu’elle avait du aller en Lorraine. Au gouter, j’étais entre ton cousin Derancourt et Pouchel. Et bien, je suis comme toi, il m’emballe pas ton cousin. Nous étions 21 personnes Lundi dernier, vois d’ici de monde. Tantôt j’ai la visite de Suzanne et Loulou. Demain Marie-Louise vient me voir, aussi je suis très contente. Aujourd’hui, je voudrais bien voir vite quatre heures parce que je ne suis pas dans mon assiette. Avec ça, je trouve qu’il refait froid. Heureusement, j’ai du feu. Je te quitte mon petit Lou, pour faire mon ménage. En attendant de tes nouvelles, je termine mon chéri Aimé en t’embrassant bien bien tendrement. Celle qui pense sans cesse à toi, Mino   C’est presque un journal !!!

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