Enfin, c’est la guerre !

Le 9 Février 1917

Petit Lou Aimé,

J’ai reçu ce matin dans mon lit ta gentille lettre du 6. Je n’étais pas encore levée et il était 8h½. Cela fait 2 jours que je me lève à 9 heures. Quelle paresseuse que ta Mino ! Depuis que je me couche à 20h, je ne dors plus de la nuit que le matin. Aussi j’ai un mal à me sortir de mon lit, c’est effrayant.

Depuis ce matin, j’ai un mal de chien pour faire ma cuisine. Plus de gaz du tout, et plus que 4 seaux de charbon pour la Salamandre. Je suis à la recherche de charbon, pour allumer ma cuisinière. Ce matin, j’ai fait le déjeuner chez la couturière qui a du feu dans sa cuisinière. Tu penses tout ce mal pour descendre mes ustensiles et pour surveiller le manger. Je suis à peine à la maison. Je suis le plus dans l’escalier.

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Quelle comédie ! J’en ai assez, je voudrais bien que ça finisse. Avec ça, mon père qui crie comme si tout cela était de ma faute. Depuis que je suis levée, je n’ai pas eu une minute à moi et il est maintenant 16h. Il ne se rend pas compte de tout le mal que j’ai en ce moment. Pourtant, je fais tout mon possible pour qu’il ne manque de rien. A midi, il n’était pas content parce que son café était imbuvable. Que veux-tu ? L’eau n’était pas assez chaude. Le temps d’aller la chercher en dessous et de la remonter, elle s’était refroidie. Est-ce de ma faute ? Je ne trouve pas.

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Enfin, espérons qu’avec le beau temps, les jours seront meilleurs.

Je te disais hier dans mon petit mot que je devais voir Marie-Louise. Nous nous sommes rencontrées aux Galeries. Je n’étais pas en retard. Elle m’a tout d’abord demandé de tes nouvelles, et exhorté à prendre patience.

Ensuite elle m’a prié de bien vouloir donner mon goût pour l’achat de coquetteries pour plaire à son Aimé qui vient la semaine prochaine en permission. Je m’y suis prêté de bonne grâce, quoique dans le fond, j’aurais bien voulu être à sa place. Malgré tout, je n’en suis pas jalouse, chacune son tort [sic]. Dans 15 jours, la pauvre, sera sans doute bien triste comme moi. Alors on viendra trouver sa petite Germaine pour qu’elle vous console et cela fera deux exilées réunies. De cette affaire, je ne vais pas la voir pendant au moins 15 jours et comme après ce temps, elle aura le cafard, je ne la verrai pas avant 3 semaines. Aussi il ne faudra pas lui en vouloir, si elle me laisse tomber avec un bruit sec et métallique !

Avec tout ça, je n’ai pas acheté mon papier à lettre. Marie-Louise avait tellement d’achats à faire que j’ai passé après elle, mais lorsque mon tour est arrivé, je n’avais plus assez de temps et j’ai remis mes achats à un autre jour. Et je suis obligée de t’écrire sur cet ignoble papier.

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Enfin, c’est la guerre ! Depuis ce matin, je ne fais que répéter ça. Pas de gaz ! C’est la guerre ! Pas de charbon ! C’est la guerre ! N’importe quoi, c’est toujours la faute à la guerre. Sale guerre, elle nous en aura fait voir. Si encore il ne manquait pas l’essentiel, ça ne serait que demi-mal. Si nous étions tous les deux réunis, on ne s’apercevrait même pas de ces petites misères. N’est-ce pas mon Lou ?

Je n’aurai peut-être pas de lettre demain. Tu me dis que tu déménages.

En attendant une gentille missive, je t’envoie mon petit Lou adoré les plus douces caresses de ta petite

Mino

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