L’oriflamme de St Denys

Le 23 Avril 1917

Mon Lou Aimé,

Décidément, il était dit que je ne finirais pas tranquillement ma lettre d’hier. Je la commence le soir, ma lampe s’éteint. Je la continue hier après-midi, Marie-Louise arrive en coup de vent m’annoncer qu’elle m’emmenait à la basilique de St-Denys. Cette cérémonie avait lie à 2h½ et elle est arrivée à 2h10. Tu penses s’il a fallu faire vite.

Surtout que je n’étais pas habillée et que j’étais en train de t’écrire. C’est pour cela que j’ai terminé un peu vivement. Je me suis habillée encore plus vivement et nous sommes parties. Mon père nous avait dissuadé d’y aller, car il était trop tard. Mais Marie-Louise tenait à y aller vu que les invitations venaient du Comte et qu’elle craignait lui faire déplaisir en n’y assistant pas. Nous avions donc deux chics places réservées. Mais le mieux de l’affaire, c’était pour aller à St-Denys ! Il nous est arrivé un tas d’aventures toutes plus amusantes les unes les autres.

Tout d’abord, nous avons pris le tram jusqu’à la République, ensuite, nous avons attendu un autre tram St-Denys/République. Il y avait un monde, je te dis que ça !

Mais je ne m’émotionnais pas pour si peu. Marie-Louise me disait : “C’est inutile, jamais nous n’arriverons.” Nous avions des numéros 300 plus loin qu’on appelait. Le conducteur se met à se disputer avec une bonne femme, pour comble de bonheur, aussi je dis à Marie-Louise : “Suis-moi”. Et tranquillement, j’ai passé derrière le dos du contrôleur qui n’y a vu que du feu. Marie-Louise de même et la bonne femme se disputait toujours : “Oui Monsieur, il y en a qui montent sans billet” “Mais Madame, puisque j’en ai plein la main. Et puis c’est complet, attendez le prochain. Mesdemoiselles, sur la plate forme arrière, plus de place ici”. Nous ne pouvions plus nous tenir tellement nous nous pouffions ! Ce qui fait que nous avons fait le voyage République-St Denis derrière le tram. Nous nous en moquions, arriver était le principal .

tram

Enfin, après de nombreux cahots, nous sommes arrivées à cette fameuse basilique à 3h10. Nous étions un peu en retard, mais les gens chics (qui voyagent sur des plateformes) arrivent toujours pour la fin. Après avoir joué des coudes, comme nous ne voyions rien du tout. Marie-Louise m’a conseillé de sortir. Après avoir fait trois voeux, nous sommes sorties.

Ensuite, elle mourrait de faim. Il nous a fallu chercher un pâtissier. Chose assez compliquée dans un pays qu’on ne connait pas. Après avoir demandé, Marie-Louise a pu satisfaire sa faim et sa gourmandise. Elle avait acheté ½ livre de pâte de fruit et d’amandes confites. Nous sommes vite revenues du côté de la basilique afin de voir le fameux oriflamme de St Denys. Juste comme nous arrivions, le défilé commençait, c’était superbe, une centaine de bannières des différents pays envahis. Tout cela entouré de palmes et de drapeaux. Ceux de l’Alsace-Lorraine voilés de crêpe. Enfin, c’était magnifique.

levee_de_loriflamme_a_saint-denis_-agence_rol_btv1b53000731j

L’archevêque de Paris présidait. On ne rentrera l’oriflamme de St Denys que le jour de la victoire. Je t’envoie ci-jointe une feuille qui t’expliquera le pouvoir de cette bannière. Et la reproduction en carton. Ça serait trop long à expliquer, j’ai déjà été bien bavarde. Pour en finir, le plus beau, c’est le retour. Une cohue ! Impossible de prendre le tram.

Avec ça, les gens de là-bas nous regardaient d’un mauvais oeil, soi-disant que nous étions trop chic pour eux, et que l’on prend pas le tram quand on se bourre de bonbons comme nous le faisions. Heureusement que l’on s’en moquait. Enfin, nous sommes bien rentrées et pas trop tard, j’étais à 5h½ à la maison.

Je reçois à l’instant ta gentille lettre du 19 que la concierge vient de m’apporter. Du 19, ça fait du progrès, 4 jours à venir, c’est pas de trop.

Les boches vous arrosent à nouveau. Pauvre Lou, je suis bien tourmentée. Enfin, j’ai toujours confiance en notre étoile ! Aujourd’hui, il me semble que je suis distinguée, aussi je suis contente pour toi, tu vas avoir un vrai journal à lire. Malgré tout, je me vois obligée de te quitter car je vais chez toi et je ne suis pas en avance.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je te quitte mon Aimé en t’envoyant mes plus doux baisers.

Celle qui t’aime de tout son coeur,

Germaine

Creative Commons License