Tu vois, je ne jeûne pas !

Le 5 Décembre 1916 – 10 heures

Mon Loulou Adoré,

J’ai reçu tout à l’heure ta gentille lettre du 2. Je commençais à être très inquiète, cela faisait 5 jours que tu étais parti et pas de nouvelles. Je m’aperçois que maintenant les lettres mettent 3 jours à venir, c’est plutôt long. Je me demande quand recevras-tu cette lettre ? Tu dois t’inquiéter sans nouvelles.

Maintenant je vais mieux, le médecin est venu hier, il m’a permis de me lever une heure par jour et un peu plus en continuant. Dimanche, s’il fait beau, je pourrai sortir. Donc ça ne sera rien. Hier, j’ai commencé à manger, mais peu. La cervelle tant enviée m’a été donnée, avec une purée et une orange. C’était bien pour un début. A quatre heure, un oeuf à la coque et une crème. Le soir, un potage et un oeuf brouillé et encore une orange. Tu vois, je ne jeûne pas. Il faut que je mange, pour me remplumer un peu car j’ai bien maigri et je ne veux pas que lorsque tu viendras, tu trouves un squelette. Je n’ai plus de fièvre du tout. Je tousse seulement. C’est tourné en gros rhume.

Hier, je me suis bien ennuyée, personne est venu me voir. Suzanne un peu le matin, un petit quart d’heure seulement. C’était Lundi hier. Aujourd’hui mardi, Suzanne et Loulou viennent, je réserve mon 1 heure levée pour elles. Toi, je te parle dans mon lit, ça ne fait rien ? J’en ai assez de ce sale lit ! Cela fera huit jours demain que j’y suis. C’est long !!!

Marie-Louise est venue me voir Dimanche. Elle m’a raconté qu’elle avait une camarade qui allait souvent au Plessis-Belleville voir un aviateur. Aussi je me propose aussitôt, peut-être la semaine prochaine, d’en faire autant, si tu me le permets ? Je demanderais la permission à mon père et pour qu’il accepte, j’emmènerai Marie-Louise. En partant par le train de 9h56, je pourrais arriver pour déjeuner avec toi. Et je rentrerais pas le train de 5h38 qui me fera rentrer à 7h à Paris. N’est-ce pas bien combiné, chéri ? Marie-Louise a eu une idée lumineuse de me parler de ça. Depuis Dimanche, je suis dans l’indicateur des chemins de fer.

plessis-belleville-cparama

Ce matin,j’ai eu un drôle de désir pour mon déjeuner. J’ai voulu une soupe à l’oignon au lait. Aussi, tout le monde se moque de moi. Ça m’est parfaitement égal. J’ai eu ce que je voulais. Maintenant, j’ai envie de saucisse de Strasbourg, c’est de plus en plus drôle.

Hier, j’oubliais de te dire que j’ai eu la visite de Paulette. Elle m’a apporté une gerbe de fleur aussi grande qu’elle. Elle m’a tenu compagnie une partie de la soirée. Et m’a cassé la tête avec ce que le Père-Noël lui apporterait. Pauvre gosse, il lui apportera sans doute rien cette année, son papa n’étant pas là !

jouetsnoel

Assez parlé de moi, un peu à toi maintenant. En effet, c’était bien loin d’être à 7 kilomètres du centre. En voilà une drôle d’idée de vous mettre si loin. J’espère que ta nouvelle chambre te plait mieux que ton taudis. As-tu déjà volé ? Ce centre est-il bien ? Etes-vous beaucoup ? Restez-vous longtemps ? Venez-vous en permissions ? Travaillez-vous beaucoup ? Que de questions à répondre. On croirait presque que tu as autant de temps que moi pour écrire.

Salle de réunion du Plessis-Belleville
Salle de réunion du Plessis-Belleville

Je vais te quitter mon Lou, j’ai froid dans le dos et une crampe dans la main. En espérant avoir bientôt de tes nouvelles et en espérant que tu es toujours en bonne santé, je t’envoie mon petit chéri aimé une foule de baisers de ta petite malade qui t’adore,

Germaine

Je vais faire partir le journal en même temps que cette lettre. Je le ferai porter par Suzanne tantôt.

Creative Commons License