Mauvaise nouvelle à la gare

Paris, Le 2 Mai 1916

Mon pauvre petit chéri,

C’est bien désespérée et bien désolée que je t’écris. J’étais loin de m’attendre à pareille désillusion ! J’étais partie toute joyeuse de chez nous, croyant te ramener et c’est seule que je suis revenue et très triste.

Ta lettre m’a été remise à la gare même. J’étais arrivée avant 5 heures et j’avais eu la chance de pouvoir entre deux voyageurs pénétrer sur le quai de départ. De là, j’étais très bien placée, et j’ai très bien vu l’arrivée du train. J’ai même reconnu plusieurs aviateurs entrevus au Crotoy, te voyant pas dans les premiers, j’attendais toujours, j’étais loin de m’attendre que le train ne t’amenait pas !

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Tout à coup, je reconnais ton camarade et j’ai été tout de suite, très surprise de ne pas te voir avec. Histoire de me renseigner, je l’ai arrêté au passage pour savoir où tu étais. Heureusement, sans quoi je serais restée plus longtemps et je n’aurais eu ta lettre que le soir. Pense ma tête lorsqu’il m’a dit que tu n’étais pas là. Je ne sais pas comment j’ai fait pour ne pas me mettre à pleurer sur le coup. Je me suis retenue, mais ce soir, j’étouffe. Je voudrais pleurer et je ne peux pas. Ce qui fait très mal, j’ai un poids sur l’estomac qui m’étouffe. Heureusement qu’il m’est venu à l’idée d’arrêter ton camarade, sans quoi il ne m’aurait pas reconnu. Il se dirigeait déjà sur la sortie. Je lui ai posé multiple questions auxquelles il m’a répondu. C’est idiot, triple idiot de vous promettre une permission et de ne pas vous l’accorder au dernier moment.

D’après ce qu’il m’a dit et d’après ta lettre, j’ai un très vague espoir de te voir demain. Si ce n’était reculé que d’un jour, je me consolerais un peu, mais si tu ne viens pas demain, il parait que ça ne sera que pour la fin de la semaine ce qui va me paraître un siècle. Heureusement que j’ai été te voir au Crotoy, sans quoi, je serais doublement désolée et pourtant je le suis déjà beaucoup.

Je me suis décidée à t’écrire ce soir, si tu viens demain, tant pis, ma lettre sera pour ton retour, sinon, tu auras toujours de mes nouvelles.

Pauvre chéri, comme cela a du te faire mal au coeur de voir partir tes camarades et toi de rester. Tu vois, je ne me plains pas, c’est toi que je plains le plus car vraiment c’est qui est à plaindre. Comme tu devais être désolé lorsque tu m’as écris cette lettre ! Mon pauvre Loulou !!!

Tout à l’heure, j’ai reçu ta gentille lettre d’hier. Tu me disais que tu ne pensais pas que ta lettre arrive avant toi. Tu étais loin de penser que c’est ta lettre qui est arrivée mais pas toi. Tant qu’à te raconter des nouvelles ballades en bicyclettes de vive vois, ça ne sera pas pour ce soir. Même pas par lettre, car je n’en ai pas le coeur.

En sortant de la gare, j’ai trouvé tes parents et je leur ai annoncé la mauvaise nouvelle. Nous étions tout plein ! Ton père, ta mère, Suzanne, Loulou, ta cousine Gabrielle et Cécelle. Comme tu vois, tu n’aurais pas été tout seul.

Enfin, demain je retournerai à la gare, mais ça n’aura palus le même charme, le souvenir d’aujourd’hui sera encore dans ma mémoire et j’aurai peur de ne pas te voir. Enfin, j’espère !!!

En espérant que ma lettre ne te trouvera pas demain, je termine mon Loulou chéri en t’envoyant pour te consoler un peu de bien doux baisers de ta petite fiancée qui t’adore,

Germaine

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