Le 15 Juin 1919

Mon petit chéri,

J’ai reçu hier soir ta mignonne lettre du 11. Je vois que vous avez dû recevoir de l’essence, puisque vous avez volé. La crise a été moins longue qu’ici où l’on a beaucoup de mal à s’en procurer. Les taxis menacent de faire grève faute d’essence. L’autre jour, je passais place de l’Opéra avec Marie-Louise. En voyant la file de voitures de luxe, je n’ai pu faire autrement que de penser à ton pauvre camarade Marol qui s’est fait si bien écorcher ! Ceux-là en trouvent bien de l’essence !!! A l’occasion, présente lui notre meilleur souvenir.

J’ai été voir Marcel hier. Il était levé et est venu jusqu’au devant de moi à la porte. Il est bien faible. Il est à partir d’aujourd’hui chez ses parents où il aura beaucoup plus d’air. De plus, près de chez lui, il n’y a aucun square à proximité où il puisse aller s’asseoir pour respirer, tandis que là-bas, il aura le Champs de Mars.

Monsieur Seng était là, aussi je n’ai pu me trouver seule avec Madeleine pour pouvoir causer. Elle m’a bien glissé à l’oreille : “Marcel a bien mauvaise mine. Je trouve qu’il change, qu’en pensez vous ?” Je lui ai dit que je ne le trouvais pas changé, quoique au fond, je pensais tout comme elle. Il a, en plus de ça, une extinction de voix qui est assez inquiétante. Le médecin a ordonné le Midi, et le plus tôt possible. Marcel a écrit à son camarade qui a installé quelques chose à St Jean Cap Ferrat de lui chercher quelque chose. Aussitôt qu’il aura trouvé et que Marcel sera en état de supporter le voyage, ils s’en iront. Ils pensent dans une huitaine de jours. Monsieur Seng va demander un congé d’un mois et ils iront aussi. Madame Seng ne le sait pas encore.

Madeleine doit m’écrire pour me fixer un jour pour aller leur dire au revoir. Pauvre Marcel ! C’est bien triste de le voir dans cet état-là ! Il m’a dit de bien te souhaiter le bonjour, ainsi que Madeleine. Ecris-lui un petit mot, cela lui fera plaisir.

Sur ce petit Loul chéri, je te quitte pour me préparer.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je t’envoie mon tout petiot Aimé une corbeille de grosses cerises et de nombreuses caresses.

Ta toute petite gosse qui t’adore,

Mino