Que mon tout petiot me soit rendu tout à fait

Le 19 Novembre 1918

Mon petit Loul Aimé,

J’ai reçu ce matin ta mignonne lettre du 15. Je comprends que la vie actuelle doit te sembler bien monotone. Rester à ne rien faire des journées entières, ce n’est pas drôle. Si seulement nous étions à la belle saison, tu pourrais te promener. Les coins doivent être jolis par là ! Je suis de ton avis, petit chéri, vivement vieillir de quelques mois, que tu reviennes bien vite. Que nous puissions nous faire un beau petit nid et que nous soyons pleinement heureux.

Je ne sais pas si tu as vu sur les journaux, les permissions sont portées à partir du 1er décembre à 20 jours. C’est très bien, j’en suis fort contente, mais je préfèrerais que mon tout petiot me soit rendu tout à fait !!! Au bout de 20 jours, on s’habitue tout à fait à être ensemble et puis il faut se quitter . Ce n’est pas drôle. Encore là, ce n’est plus la même séparation, on se quitte en étant sûre de se revoir, mais cela ne fait rien, ce n’est pas ça.

Si tu as ta permission pour Noël, nous pourrons fêter le réveillon ensemble. Et quel réveillon ! Le réveillon de la Victoire ! Je crois que cette fois-ci, je m’en tirerai avec ma petite cuite. Mon tout petiot qui a tant envie de me voir comme ça ne ratera certainement pas l’occasion ! Dis mon chéri ??? Pour le premier réveillon que nous passerons ensemble, je crois qu’il sera délicieux !!! Il y aura certainement des cerises et des popommes. N’est-ce pas mon petit Loul ??? Et beaucoup ? J’aime ça de plus en plus, tu sais !!!…

J’ai une nouvelle à l’annoncer petit Loul qui ne te fera certainement pas plaisir, mais tu sais petit chéri, il ne faudra pas te frapper ni t’inquiéter. Ce n’est pas bien grave. Voilà de quoi il s’agit :

Tu te rappelles que la dernière fois que tu es venu, je me suis beaucoup grattée la nuit. Je me demandais ce que j’avais ! Depuis, j’ai continué. C’était devenu à un point ces jours derniers que je ne pouvais plus y tenir. Je me sentais dévorée de partout. J’avais donc pris la résolution de profiter du premier jour que je viendrai à la maison pour aller voir mon médecin. J’y ai donc été tout à l’heure et ce que je craignais est certain. Il m’a examiné et tout de suite m’a dit ce que j’avais.

Je n’ai pas été très surprise car je m’y attendais. Ça fait qu’il faut que j’aille demain matin  à St Louis, subir certaine petite séance. Cela ne m’a pas beaucoup frappé, car en somme, ce n’est pas très grave. J’ai hâte d’être à demain soir pour que ça soit terminé, car cela doit être une sale sensation, surtout pour moi qui suis très douillette. Enfin, je n’en mourrais pas. Il parait qu’après, on guérit très vite. Quelques jours et il n’y paraît plus.

J’ai une lettre de mon docteur, avec, je ne passerai pas d’autre visite et je serai admise dans une salle payante où je serai seule. Surtout petit chéri, ne t’inquiète pas. Tu vois, je suis très calme, pense que lorsque tu recevras cette lettre, je serai débarrassée de tout ça et en parfaite santé. Je n’en parlerai pas à tes parents, ce n’est pas utile.

En espérant que tu m’obéiras et que tu ne te feras pas de mauvais sang, je te quitte mon tout petiot adoré en déposant sur tes lèvres que j’aime tant mes plus tendres baisers,

Mino

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