Je mène une vie de princesse

Le 1er Octobre 1918

Mon chéri Aimé,

Comme je l’espérais, j’ai reçu hier tantôt une mignonne lettre de toi, celle du 28. Je vois que tu travailles beaucoup en ce moment. Cela n’est pas fait pour reposer mon Loul chéri !

Tes parents ont reçu en même temps une lettre de Pierre. Il dit que ton moteur est épatant, qu’il marche très bien. J’en suis très contente. Il annonce la mort d’un de ses camarades. Ce qui a beaucoup frappé tes parents.

Hier soir, nous avons fait les adresses des faire-part. Il y en avait quelques unes ! Nous nous sommes couchés à 10h passées ! C’est très tard. Je n’ai plus l’habitude de veiller si tard. Le bébé avait très sommeil. En ce moment, c’est effrayant ce que je dors. Je me couche à 9h½ et je dors aussitôt, pour me réveiller à 8h. C’est honteux ! Je dors de trop ! Avec ça, je mène une vie de princesse. Je ne fais rien du tout. Que boire, manger et dormir. A ce bon petit régime-là, je vais engraisser et devenir comme la petite dame de Luc !!! Ce qui fera grand plaisir à mon Coco chéri !!! N’est-ce pas mon chéri ?

Ce matin, j’ai passé toute ma matinée à ma toilette. Je n’ai jamais été si longue. Je suis une enfant gâtée ! Jamais je ne pourrais m’habituer à rester à la maison à présent. Mon père ne m’a pas encore téléphoné. Il n’a décidément plus besoin de moi. Il m’avait dit : “Lorsque j’aurai besoin de quelque chose, je te téléphonerai.” Il a l’air de bien se plaire tout seul !

Hier, Marie-Louise m’a téléphoné. Je venais juste de sortir pour aller à la poste. Ça fait que Nounou a répondu que j’étais sortie. Elle a fait dire qu’elle re-téléphonerait, mais je l’attends encore. Surement qu’elle voulait me voir ! C’est toujours comme ça ! Hier Lundi, je n’ai pas bougé de la maison de la journée. Je vais mettre mes lettres à la poste. Crac, on me téléphone. Mauvaise chance !

Je voulais te demander l’adresse de ton camarade Artigan. Est-ce bien Secteur 25 ? Cela me semble bizarre. C’est le même secteur que le tien. Dis-le moi dans ta prochaine lettre.

Mon Loul qui oublie que je suis Madame Sevette ! C’est du beau. Il me semble que tu es pourtant bien placé pour le savoir ! Enfin, ce n’est pas grave et je te pardonne puisque pour toi, je suis une sale gosse, rien d’étonnant à ce que tu te trompes. Pour pénitence, tu me diras quand est-ce que j’irai te voir. Na !!!

J’ai un conseil à te demander. Je voudrais bien m’acheter un manteau. Je commence à être un peu jeune avec mon tailleur gris. Il n’est pas très chaud. J’en ai vu un, sur le catalogue des Galeries qui me plait bien.

manteau 1918

Il est en pluche moirée, comme celui de Marie-Louise de l’année dernière. Il coûte 195f. C’est un peu cher, j’en conviens. Mais pour avoir quelque chose de bien, il faut mettre ce prix-là. Comme ma robe de satin n’est pas pratique, j’ai envie de la vendre. Cela fera une diminution sur le prix du manteau. Est-ce que je pourrais prendre la différence sur l’argent de ton oncle ? Dis-moi, mon chéri, ce que tu en penses ? Il me semble que je pourrais vendre ma robe 100f en changeant le gilet, car les tâches de boue ne s’en vont pas. La teinturière a essayé sans succès !

Tantôt, je vais aller prendre des nouvelles de Madame Schwab  et ensuite chercher les faire-part. Gabrielle vient de venir me dire au revoir, elle m’a chargée de bien t’embrasser.

Tout le monde va bien ici, y compris moi, qui ai toujours mes jolies piqures. Tes parents t’embrassent bien.

En espérant que tu es en bonne santé, je te quitte mon Coco joli en t’envoyant les plus douces tendresses et les plus câlins baisers de ta petite gosse qui s’ennuie bien de toi,

Mino

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