Visite du Capitaine Hood

Le 5 Octobre 1918

Mon petit chéri Aimé,

Je t’ai écrit un bien court mot hier, aussi je vais me rattraper aujourd’hui en t’écrivant une longue lettre. J’ai à répondre à deux de tes mignonnes que j’ai reçu, l’une avant-hier soir, l’autre hier matin. Ce sont celles du 1er et 2e. Je vois que le temps ne vous favorise pas en ce moment. C’est tant mieux, pendant ce temps-là, mon chéri ne vole pas et se repose.

Je vois que tu as retrouvé ton vieux jeu de cartes. As-tu plus de chance qu’au jacquet ? Et joues-tu avec des meilleurs joueurs que moi ? Tu n’auras pas de mal ! Je suis bien contente que tu aies trouvé des camarades qui savent jouer au bridge, pendant ce temps-là, tu ne t’ennuieras pas.

As-de-coeur

Comme je te l’ai dit dans mon mot d’hier, nous avons eu la visite du capitaine Hood. Ça été la grande surprise car il ne nous avait pas prévenu. Il est arrivé à 10 heures en taxi et a trouvé ton père qui était justement dehors. Comme il était occupé à donner des ordres, il nous a appelé Suzanne et moi afin que nous descendions lui tenir compagnie au salon. Suzanne n’était pas prête. Heureusement, je venais de finir de m’habiller, je n’avais plus qu’à me chausser. Ça fait que je suis descendue presque aussitôt tenir compagnie au “Capitaine”.

Lorsque je lui ai dit que tu étais reparti, il étais désolé. Il m’a dit : “Est-ce loin ? Oh ! oui ! à 500km.” Alors j’aurais voulu mon tout petiot que tu voies sa tête. C’était roulant. “Alors je ne monterai pas encore cette fois-ci ! Moi qui espérais tant en venant en permission avoir ce plaisir. Vraiment, j’ai mauvais chance !”

Nous avons bavardé plus d’une heure. Il m’a raconté qu’il était en permission, qu’il en avait passé la moitié en Angleterre et en Ecosse, chez les parents de sa femme. Que les Anglais étaient toujours aussi froids ! Qu’il en avait attrapé un rhume de cerveau tellement il se trouvait dans la glace.

Il est ici jusqu’à Lundi soir. Je lui ai montré tes grandes photos de chez Manuel. Il les trouve épatantes ! Il a pris l’adresse pour y aller se faire photographier, afin d’en envoyer à sa femme !

Après, Suzanne et Jeanne sont descendues et ton père est venu le chercher pour visiter l’usine.

Nounou était affolée car elle trouvait son déjeuner bien maigre ! J’ai été lui faire quelques commissions. Après, j’ai aidé à mettre la table. Pense la surprise de ta mère en arrivant à midi !

Après le déjeuner, nous avons été chez Mlle méchante ! Ça été encore la grande surprise. Le capitaine a fait de la musique et a chanté. Il y avait justement Georgette. Aussi, ils ont beaucoup causé en anglais. Le capitaine est revenu avec nous dîner à la maison. Quelle n’a pas été notre stupéfaction en apprenant à notre retour que l’autre capitaine de son camp était aussi venu le tantôt. Il avait dit à Nounou qu’il reviendrait le soir mais il a manqué sa promesse car nous n’avons vu personne.

Comme le capitaine savait où le retrouver, il est sorti avec ton père qui l’a piloté. Ils se sont rencontrés à la gare St-Lazare. Il parait que le Cp. Hood a donné une bonne volée à l’autre. Quel type ! Il doit revenir dîner Dimanche.

Il n’y a qu’avec le petit de Jeanne  qu’il n’était pas camarade. Pourtant, que de bêtises il lui a fait. Il faisait absolument le clown. Il n’y a que sur le soir que le ménage allait mieux. Il lui avait donné une belle pièce anglaise. Aussi, comme cela lui avait fait plaisir, il lui donnait la main dans la rue.

Nous avons ici une vraie invasion de moustiques, si tu voyais ta gosse en ce moment mon petit Loul, tu la trouverais bien laide. J’ai des nouvelles piqures à la figure. Une au front, cela me fait une grosse bosse. On me fait même très enrager avec ! On me dit que j’ai une corne. Et que je l’ai depuis que tu es descendu à Bar. Crois-tu que l’on me fait enrager ! Heureusement, cela ne me touche pas ! J’ai mon oreille droite toute enflée tellement j’ai été piquée. Ma joue est pareille. Mes mains aussi et mon bras droit est tout bosselé. On dirait que j’ai boxé ! Je ne suis pas la seule à être comme ça. Suzanne a sa part et ton père aussi !

Je vais déjeuner avec mon père, aussi je te quitte mon Coco joli pour aller faire la cuisine.

En espérant que tu es en bonne santé, je t’envoie mon chéri que j’aime les plus tendres caresses et les plus gentils baisers de ton bébé qui pense bien à toi,

Mino

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