Quelle tristesse à côté des autres soirs !

Le 26 Septembre 1918

Mon petit Loul chéri,

Je t’écris de la maison où je suis venue déjeuner. Mon père m’a téléphoné ce matin pour me demander de bien vouloir venir, qu’il avait à me parler. Il s’agit du loyer. Maintenant, il a l’intention de rester. Enfin, nous avons discuté pendant une heure sans être beaucoup plus avancés à présent. Il va aller chez le propriétaire pour s’entendre avec lui au sujet du changement de nom. Il craint beaucoup que le proprio l’augmente ou le force à déménager. De tout ça, je n’y peux rien. Il voudrait bien que je reprenne à mon nom, mais je ne veux rien savoir.

Il a été assez aimable et la discussion n’a pas tourné à la dispute, ce que je craignais fort. Il m’a quitté très gentiment en me disant : “Viens déjeuner Samedi. tu partiras ensuite si tu veux.” Enfin, très aimable. J’avais peur qu’il me dise de rester, aussi je suis bien contente. Je n’étais pas très tranquille en venant.

Ici, j’ai trouvé pas mal d’ouvrage. Tout d’abord, le déjeuner à faire, ensuite la vaisselle, je lui ai préparé son dîner, j’ai fait un petit peu le ménage et je viens t’écrire. Ensuite, j’irai chercher l’épreuve des faire-part. Tout cela m’occupe un peu l’esprit, ce qui n’empêche pas que je m’ennuie beaucoup et qu’à chaque instant je pense à toi. Tu me manques tant !!! Je suis complètement perdue et dépaysée.

Hier soir, lorsque je me suis trouvée seule dans cette grande chambre, je me suis mise à fondre en larmes. Je me sentais si seule sans mon petit Loul, qu’il me semblait avoir très froid. Je me suis bien vite couchée et j’ai éteint afin de ne plus rien voir. Comme je me trouvais petite dans ce grand lit ! Quelle tristesse à côté des autres soirs ! Comme j’ai pensé à toi, qui devait être si seul de ton côté, couché dans ton tout petit lit ! Pauvre Coco aimé ! J’espère que tu y auras passé une pas trop mauvaise nuit et que tu te seras bien reposé. Moi, j’ai bien dormi. J’ai très fatiguée, n’ayant presque pas fermé l’oeil la nuit précédente.

Je me suis réveillée qu’à 8h, j’ai fait un fameux somme. Je me suis levée aussitôt et j’ai été déjeuner en même temps que ton père et Suzanne. C’est la première fois que ça m’arrivait. Ta mère va mieux ce matin, son rhume se passe un peu. Hier soir, j’ai été travailler un peu près d’elle. Elle s’est levée pour dîner. Nounou avait fait des aubergines, aussi, sous prétexte que tu n’étais pas là, il a fallu que je mange ta part. Aussi, comme elle était très grosse, je n’en pouvais plus.

Je vais te quitter, car mon ménage m’a pris beaucoup de temps et je veux que ma lettre parte ce soir.

En espérant qu’elle te trouvera en bonne santé, je t’envoie mon Coco joli les plus douces cerises de ta petite gosse qui t’aime follement,

Mino

PS : As-tu trouvé ton coucou en bon état ? Ton capitaine t’a-t-il dit quelque chose ?

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