Petit entretien avec ton père

Le 17 Juillet 1918

Mon tout petiot chéri,

Ce matin, pas de mignonne lettre de toi. La cause en est certainement à l’offensive. Pourvu que je ne reste pas plusieurs jours sans nouvelles ! Je suis déjà si inquiète de te savoir dans la bataille ! Enfin, j’espère que tu es toujours en bonne santé.

Hier, comme je te le disais dans ma lettre, j’ai eu un petit entretien avec ton père. Ça s’est très bien passé. C’était bien au sujet de notre mariage qu’il avait à me causer.

Frédéric Sevette, le père de Lucien
Frédéric Sevette, le père de Lucien

Ça va, ça va !!! Nous pouvons à présent tout à fait nous réjouir mon Loul ! C’est décidé pour le mois de Septembre !!! Que je te raconte tout ce qu’il m’a dit :

Nous nous sommes tout d’abord enfermés dans la salle à manger. Ça avait un petit air mystérieux qui m’a bien amusé. Monsieur Sevette a commencé par ces paroles : “Causons bien et causons peu. Vous devez savoir par Lucien qu’il m’a écrit pour me demander l’autorisation de vous marier le plus tôt possible. Je lui ai répondu que je n’y voyais aucun inconvénient et que j’acceptai avec plaisir. Maintenant, il reste à savoir si votre père acceptera de son côté.”

Je lui ai répondu que je ne pensais pas qu’il refuse. Alors il m’a dit : “Il faudrait que Lucien lui écrive pour lui demander son consentement et qu’il lui dise que nous acceptons de notre côté. Après, ça marchera tout seul. Aussitôt notre retour du Mesle, nous nous en occuperons et tout pourra être prêt pour le mois de Septembre. A vous de voir comment vous vous arrangerez. Vous pourriez habiter ici lorsque Lucien sera là et aller de temps en temps chez votre père. Quand ça vous plaira de venir dans votre chambre, vous n’aurez qu’à y venir. Même si votre père vous embête de trop par moment, venez ici, cela vous changera. Vous serez chez vous, puisque vous serez chez votre mari. Votre père aura rien à y voir. Enfin, à vous de vous débrouiller à présent. Faites ce que vous voudrez, je ferai comme il vous plaira. Tout ne dépend plus que de vous. Tâchez de me donner la réponse lorsque vous viendrez au Mesle nous retrouver.”

Ensuite, il m’a dit : “Vous devez avoir besoin d’argent. Vous devez avoir un tas de choses à vous acheter. Combien voulez-vous d’ici le Mesle ?”

Tu penses mon Loul, j’étais toute confuse et ne savais plus quoi répondre. “Voulez-vous 50f, 100f ? Dites-moi ce qu’il vous faut. Vous savez, Germaine, il ne faut pas vous gêner, vous savez bien que vous êtes mon fille. Et une fille ne se gêne pas pour demander de l’argent à son père.” Je l’ai bien remercié et lui ai dit que vraiment, il était trop bon pour moi que jamais je n’avais été tant gâtée, que jamais je n’oserais lui demander de l’argent. Alors il m’a dit : “Et lorsque vous serez mariés, comment ferez-vous ? Allez, demandez, vous verrez, vous vous y habituerez.” Et tout en causant, il m’alignait des billets de 5f devant moi. Je n’ai accepté que 50f. Je trouve que c’est déjà énorme. Cela le faisait rire. Il m’a dit : “Ma pauvre Germaine, vous n’irez pas loin avec ça. Franchement, aurez-vous assez pour 15 jours ? Tout est si cher. Voulez-vous que je vous donne l’argent de votre voyage ?” Je lui ai dit que ce n’ait pas la peine. Que j’espérais bien que mon père me le payerait.

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J’étais tellement contente et heureuse à la fois, que je lui ai sauté au cou et que je l’ai embrassé sur les deux joues. Je l’ai remercié mille fois pour toi et pour moi d’avoir donné son consentement. Je lui ai dit combien j’en étais heureuse. Et l’ai encore remercié pour l’argent qu’il me donnait. Je crois qu’il était encore plus content que moi. Mais pas de la même manière bien entendu. Ensuite, nous nous sommes quittés. Il m’a dit qu’il allait t’écrire avant son départ.

Tu penses mon tout petiot si j’étais heureuse en m’en allant. Vraiment, je suis trop gâtée et ton père est trop bon pour moi. Je suis confuse de toutes ces bontés. Comme cela me change avec mon père.

Je suis bien bien heureuse de savoir à présent que ça marche toute à fait bien. Comme je le désire à présent, ce mois de Septembre. Comme je voudrais déjà y être ! Oh ! Mon Loul chéri, comme nous serons heureux ce jour-là.

Je ne pense pas que mon père, nous refusera. Ecris-lui aussitôt que tu auras le temps. Je ne lui en ai pas causé. Il est préférable que ça soit toi le premier. Surtout pour lui, qui est si à l’étiquette. Dis-lui que tu as demandé l’autorisation de te marier à tes parents, qu’ils ont accepté.

Tout d’abord, dis-lui que voyant la guerre ne pas finir que nous avons décidé ne pas attendre. Je crois qu’il acceptera tout de suite. Etant le premier à en parler tout le temps. Je voudrais bien que tu écrives avant que je parte au Mesle. Comme cela, je serai là lorsqu’il recevra ta lettre et nous pourrons en parler tout de suite. Et donner la réponse à Monsieur Sevette à mon arrivée. Car il me disait qu’aussitôt que mon père aurait accepté, tu commences les démarches de ton côté que cela devait demander encore plus de temps que dans les mairies.

Tes parents ont dû partir ce matin au Mesle. Nous deux, Loulou et moi, nous partirons que le 3 Août. Gabrielle doit venir aussi pour quelques jours en même temps que nous. Tu penses si elle est contente. Ça va être presque un pensionnat de jeunes filles que tes parents vont avoir. Ça tombe bien, nous y serons toutes en même temps. Moi, il me manquera beaucoup mon petit Loul chéri et je ne pourrai plus apprécier les moustiques… !!! Enfin, à mon retour du Mesle, il ne nous restera plus beaucoup de jours pour nous voir.

En espérant avoir de tes nouvelles bientôt et que ta santé est toujours bonne, je te quitte mon gosse de gosse très chéri, en t’envoyant une foule de bien douces câlineries de ta petite gosse qui t’aime bien bien fort,

Mino

PS : Bien entendu, mon père ne sait pas que j’irai au Mesle. C’est tes parents qui doivent m’écrire pour m’inviter.

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