Les douceurs de la cave

Le 28 Juin 1918

Mon petit Loul Aimé,

Ce matin j’ai reçu, comme je le supposais, deux mignonnes lettres de toi. Même trois, mais la troisième n’était pas pour moi, mais pour Monsieur Sevettte. Je me demande ce que mon Loul a pensé en écrivant : “Mr Sevette, 112 Av Ledru-Rollin” !!! Heureusement que tous les matins, je descends attendre le facteur sur le pas de la porte. Pour me remettre ma lettre, il cherche une par une dans le paquet pour la maison. Je vois donc toutes les lettres qu’il a. Quelle n’a pas été ma stupéfaction lorsque j’ai lu Mr Sevette. Comme le facteur me remettait mes deux lettres, je lui ai dit que celle-là était pour moi aussi, mais il n’a pas voulu marcher. Il m’a dit : “Vous ne vous appelez pas Mr Sevette, je suppose. Tous les matins je vous donne une lettre au nom de Bertin, ça ne se ressemble pas.” Je n’ai pas essayé de lui faire comprendre ce qu’il en était, cela aurait été trop long. Je lui ai laissé déposer ses lettres dans la loge et j’ai été m’expliquer avec la concierge qui était encore au lit. Je lui ai dit que tu t’étais trompé d’adresse et elle m’a donné la lettre. Je la remettrai à Madame Sevette tantôt, je la vois chez Loulou.

Il faut croire que mon Loul pensait à moi en écrivant 112 Av Ledru-Rollin ! N’est-ce pas mon tout petiot ???

Comme je voudrais que ça réussisse pour réceptionnaire, puisque ça plait à mon Loul ! De plus, si Monsieur Sevette accepte que nous nous marions tout de suite, ça serait vraiment chic. Je pourrais être avec mon Loul tout le temps. Ça serait le rêve ! Mais je doute fort que ça réussisse. Ça serait vraiment de la chance que tous nos désirs se réalisent en même temps. Enfin, nous pouvons toujours espérer.

Tu me demandes mon Loul, si mon père pense toujours quitter Paris. Oui mon Loul, mais figure-toi qu’on leur fait des difficultés pour expédier leurs marchandises. Il faut une autorisation du Ministre du Commerce et une autre du Ministre des Travaux Publics et tout cela demande beaucoup de temps. De plus, il leur faut une preuve comme quoi leur commerce est utile à l’armée. Ils fournissent bien aux Américains, mais pas aux besoins de l’armée française. Et ça, ça complique beaucoup. Depuis huit jours, son patron court de bureaux en bureaux et n’a encore rien obtenu. Ça fait qu’ils attendent que l’autorisation vienne.

Tu me demandes ce que je compte faire ? Eh bien, mon Loul, rester ici. Comme mon père, j’attends l’autorisation de Monsieur Sevette. S’il accepte, ça va tout seul. S’il n’accepte pas, de toutes façons, je reste chez toi, au cas où mon père partirait.

Suzanne m’a dit qu’elle t’avait écrit hier, mais comme j’avais oublié de la prévenir que ton numéro de secteur avait changé, elle a adressé sa lettre au SP 230. Ce qui fait que la lettre arrivera certainement en retard.

28-06-18 excelsior

Voilà deux nuits de suite que nous avons alerte, aussi j’ai regoûté aux douceurs de la cave. Quelle comédie !!! Vivement que je puisse rester dans mon lit sans me lever !!! Moi ça me détraque complètement. Ça me tape sur les nerfs et ça me fatigue beaucoup. Je ne peux plus me rendormir après. Mon père a des façons de me réveiller, il y a de quoi attraper la jaunisse. Heureusement que je ne me frappe pas. Il arrive à ma porte et l’ouvre brusquement. Quand on dort bien, c’est charmant. Je suis à peine habillée qu’il arrive avec la lampe pigeon et il me la met dans les mains en me disant : “Descends vite.” Je dors à moitié, aussi je ne vais guère vite, et cela l’énerve. Enfin, il faut que je me console, il fait beau en ce moment, ils vont certainement revenir presque tous les soirs comme à la fin du mois dernier. J’en prends mon parti, puisqu’il n’y a rien à faire. Quand je pense que cette veinarde de Suzanne n’a rien entendu l’avant dernière nuit !!!

A part ça, rien de nouveau.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je t’envoie mon Loul que j’adore les plus gentils bécôts de ta gosse qui pense bien à toi,

Mino

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