Ton père me propose de rester chez toi

Le 22 Juin 1918

Mon petiot Aimé,

Ce matin, pas de nouvelles de toi. A 10h, non plus. Te sachant pas bien, j’étais complètement désolée et ne savait que penser. J’aurais bien été téléphoner chez toi tout de suite pour savoir si tes parents avaient de tes nouvelles, mais j’avais peur que l’on me dise que non et cela m’ennuyait de les inquiéter. Enfin, à midi, n’y tenant plus, je me suis décidée à y aller. J’ai demandé Nounou et c’est Suzanne qui m’a répondu. Elle m’a dit que l’on avait reçu une lettre de toi ce matin et que tu ne parlais pas du tout que tu étais malade. Aussi m’a-t-elle complètement rassurée. Je te voyais tout de suite gravement malade et ne pouvant pas m’écrire et je m’étais un peu affolée. Heureusement, il n’en est rien. C’est encore un tour de la poste, qui ne m’a pas apporté ma lettre quotidienne. Je n’en ai été quitte que pour une matinée d’inquiétudes. Demain, je recevrai certainement 2 mignonnes lettres au lieu d’une.

Mon pauvre Loul chéri, je n’ai vraiment pas de chance en ce moment. J’ai acheté le nouvel indicateur du Nord. Eh bien ça ne gaze pas du tout les heures des trains !!! Aussi, je suis complètement désolée. Moi qui espérais aller te voir, je suis de la revue ! Pauvre Loul, je n’aurais pas dû t’en parler, cela va te donner encore plus le cafard. J’aurai dû attendre d’être renseignée. Je te voyais si ennuyé hier, que je n’ai pu faire autrement. Une autre fois, j’attendrai d’être fixée.

Comme ce n’est qu’à 1h de Paris, je me disais en partant vers 1h½, j’arriverais vers 2h½. Je repartirais à 5h et à 6h, je serais de retour à Paris. Eh bien pas le moindre train l’après-midi. Je t’envoie les deux feuilles. Tu regarderas comme c’est rageant ! Là, il faudrait que je parte à 7h45 pour rentrer à 16h45. Cela est tout à fait impossible. Je suis en rage, na !!! Moi qui me voyais presque tous les tantôts près de toi, j’en suis loin. On a pas idée tout de même de mettre si peu de trains sur cette ligne !!!

→  L’escadrille BR &07 est stationnée à Bléquencourt

Maintenant, autre chose de moins drôle. La maison de mon père va sans doute quitter Paris pour s’installer en province. C’est même presque sûr. Mon père est donc forcé de suivre. Ce dont, entre parenthèse, il est très content. Car de reste à Paris, cela ne lui dit rien non plus. Moi, je serai sans doute obligée d’y aller aussi.

J’en avais parlé à Suzanne ces jours derniers et je lui avais dit que cela m’ennuyait beaucoup. Car se déplacer maintenant, c’est pour jusqu’à la fin de la guerre. Alors elle a parlé à Monsieur Sevette qui me propose de rester chez toi. Mais auparavant, il faut que je t’en demande l’autorisation. Il ne voudrait pas, s’il arrivait quelque chose par la suite, que tu lui reproches après de m’avoir gardé à Paris. J’ai fait remarqué à Suzanne que s’il y avait du danger pour eux, qu’il était tout naturel que je le partage. Elle, elle trouve que non. Et que c’est à toi seul de juger. Alors mon Loul, dis-moi si tu préfères que je reste chez toi ou que je quitte Paris ? De toutes façons, ce n’est pas encore pour tout de suite. Ils ne sont pas encore décidés dans quelle ville ils descendront. Tantôt c’est Lyon, après c’est Moulins ou bien Nevers. Ou Bourges, en dernier lieu, c’était Bordeaux. En une semaine, ça a bien changé dix fois. Je ne sais toujours pas à quelle ville ils s’arrêteront. Enfin, je pense que cela demandera encore bien 1 mois avant que les marchandises soient toutes expédiées. La perspective de vivre dans une ville de province ne me fait pas rire. Enfin, je ferai comme tu me diras.

J’espère que tu vas tout à fait bien à présent et que ma lettre te trouvera en parfaite santé.

Dans cet espoir et dans l’attente de tes nouvelles, je te quitte mon Loul chéri en t’envoyant les plus gentilles câlineries et les plus doux baisers de ta gosse qui t’adore,

Mino

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