“Moi ce n’est rien que je sois malade, mais c’est là-bas !”

Le 1er Juin 1918

Mon petit Loul à moi chéri,

A ma grande joie, le facteur m’a apporté ce matin deux mignonnes lettres de toi et des nouvelles toutes fraîches ! Pense, une lettre que tu as écrite hier 31 Mai à 16h. Comme je suis heureuse de penser qu’hier à cette heure là tu étais en parfaite santé. Tu sais, mon Loul chéri, quoique bien inquiète tous ces jours derniers, je suis restée bien sage. Je suis restée 4 longs jours sans nouvelles et tu sais comme c’est long de rester ainsi sans lettre, surtout te sachant en pleine bataille. Eh bien j’ai été plus courageuse que je ne l’aurais pensé. Je m’attendais même à rester encore plus longtemps sans nouvelles. Aussi tu penses ma joie lorsque ce matin j’ai eu tes mignonnes lettres.

La personne qui a mis la lettre à Paris a joliment fait vite. Comme je la remercie du plus profond de mon coeur. Sans elle, je serais encore bien inquiète. Quoique ça, je le suis toujours, car ce n’est pas drôle de penser que mon Loul que j’aime tant se trouve environné de tant de dangers. Comme tu dois être fatigué, mon pauvre chéri ! Tu ne dois pas avoir le temps de te reposer !

Dans ton autre lettre, celle du 29, tu me dis que vous déménagez constamment. Cela ne m’étonne pas, avec le recul qu’il y a de jours en jours. Cela doit vous donner encore plus de travail. Tant qu’aux bombardements par avions, les journaux en parlent tous les jours. Aussi, chaque fois que je vois ça, j’ai le coeur serré en pensant à toi.

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Aussitôt tes lettres reçues, j’ai couru au téléphone en faire part chez toi. J’avais demandé Madame Sevette ou Suzanne, et c’est Nounou qui m’a répondu. Je lui ai dit que j’avais des nouvelles toutes fraîches, aussi elle n’en revenait pas. Je lui ai bien recommandé de dire que c’était une lettre d’hier et que vous étiez tous les deux en parfaite santé.

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J’ai demandé des nouvelles de ta grand’mère. C’est toujours pareil, c’est-à-dire mieux. Elle serait presque guérie maintenant, mais elle a repris froid, Dimanche dernier. Aussi cela va demander un peu plus de temps. Cette pauvre femme se fait un mauvais sang pour toi ! Elle en oublie son mal pour ne penser qu’à là-bas. L’autre jour, elle disait : “Moi ce n’est rien que je sois malade, mais c’est là-bas !” Et comme elle me demandait de tes nouvelles, j’étais navrée de lui répondre que je n’en avais pas. Enfin, j’ai arrangé ça pour le mieux, et je lui ai dit que depuis l’offensive, la correspondance était arrêtée et que je n’étais pas la seule à être privée de nouvelles.

Ce qui m’ennuie, c’est de te savoir toi sans nouvelles. Je sais combien on s’ennuie sans une lettre ! Et certainement elles doivent mettre beaucoup de temps à te parvenir, puisque tu déménage tout le temps.

Enfin, je souhaite que celle-ci ne mette pas plus de temps à te parvenir que la tienne, et qu’elle te trouve ainsi que Pierre en parfaite santé. Je la charge de bien doux baisers pour mon petit Loul très chéri, qui j’aime tant.

Ta petite gosse qui ne passe pas une minute sans penser à toi,

Mino

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