36 noyaux de cerises

Le 23 Juin 1918

Petit Loul Aimé,

Comme je l’espérais hier, j’ai reçu ce matin deux mignonnes lettres de toi du 20 et 21. Tu vois comme la poste est capricieuse. La lettre que tes parents ont reçue hier était du 20. Moi, je ne la reçois qu’aujourd’hui ! C’est de la chinoiserie.

Comme tu ne me parles plus que tu es souffrant et que tu me dis que tu as été te promener dans les bois, je suppose que tu vas tout à fait bien et que ce malaise n’a été  que passager. Comme je voudrais aller me promener dans les bois avec mon petit Loul. Dire que sans ces heures de train idiotes je pourrais aller voir mon tout petiot. Comme tu es assez libre en ce moment, cela aurait été très chic. Tu sais, mon Loul, je n’en suis pas encore revenue et je suis toujours en rage.

Pour me remettre, j’ai appris hier soir que Madame Delcroix partait voir son mari pendant une huitaine de jours. Ah la veinarde ! Pourtant, c’était encore plus difficile. Elle va tout à fait à l’arrière du front, en dessous de Belfort. Je me demande comment elle a pu obtenir son sauf-conduit. En tout cas, elle a bien de la chance.

Tu ne m’as pas dit, petit Loul, si tu avais reçu mon bas. Voici plus de huit jours que je l’ai envoyé et j’ai bien peur que tu ne l’aies pas reçu. Je serais quitte pour te renvoyer le second.

coeur 36 cerises

A midi, j’étais honteuse de moi. J’ai mangé 36 cerises. Quelle gourmande !!! C’est signe que je ne les aime pas !!! J’avais tellement de noyaux dans mon assiette que par curiosité je les ai compté !!! Je n’en revenais pas. Pourtant, ces cerises-là, je les aime bien peu à côté des vraies, qui sont si délicieuses. Comme j’aurais préféré avoir que la moitié de vraies !!! Je suis sûre que cela n’aurait pas déplu non plus à mon petit Loul. N’est-ce pas mon gosse de gosse chéri ??? Heureusement que ces cerises-à, il y en a en toutes saisons. Mais hélas, on y goute pas souvent !!!

cerises bertha

En effet, en ce moment, nous sommes très tranquilles à Paris. Ni gothas, ni Bertha. Je ne suis pas fâchée car les descentes à la cave ne me font guère sourire. De plus, ça me fatigue beaucoup. J’ai été un moment où j’étais complètement vannée. Je ne dormais plus tant j’étais énervée. J’avais les nerfs malades. Maintenant, ça va. Je suis très calme et très reposée. Pense mon Loul, voici plus de huit jours que je dors toutes les nuits. Cela me semble très bon.

Tantôt, je vais aux Champs-Elysées avec Madame Schwab et Loulou. Madame Sevette et Suzanne doivent venir nous y retrouver. Maintenant, c’est notre promenade de tous les Dimanches.

Tu ne me parles pas de Pierre. Que fait-il dans ta nouvelle escadrille ? Il doit être comme toi, à rien faire, puisque tu n’as pas de coucou. Dis-lui bien des choses de ma part.

En espérant que tu vas tout à fait bien à présent, je t’envoie mon petit Loul que j’adore les plus gentils baisers et les plus douces tendresses de ta petite gosse qui pense sans cesse à toi,

Mino

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