Pauvre banlieusards !

Le 28 Mai 1918

Mon gosse de gosse chéri,

Ce matin, grande joie, j’ai reçu trois mignonnes lettres de toi. Celles du 24, 25, 26. Cela m’a fait grand plaisir, mais j’aurais préféré en recevoir une tous les jours. En ce moment, la poste s’amuse à me laisser deux jours sans nouvelle et le troisième, elle m’apporte mes trois lettres. Cela ne fait pas pareil ! Enfin, il ne faut pas que je me plaigne. Avec l’offensive qui vient de reprendre, j’aurais pu rester encore plusieurs jours sans nouvelles. Il est vrai que cette fois-ci, ce n’est pas précisément de ton côté, et j’en suis fort contente. Hier soir, lorsque j’ai su par les journaux que l’offensive avait repris, j’ai vite regardé de quel côté. Lorsque j’ai su que c’était vers Reims, j’ai respiré cinq minutes, en pensant à toi.

pp 28-05-18

Mon petit Loul, tu te trompes. Ce n’est pas par chez toi que les bombes sont tombées au dernier raid. Mais plutôt par ici. A la gare d’Orléans et dans le quartier environnant. Quoique ça, votre usine a été touchée par des éclats d’obus de 75. Il y a eu plusieurs carreaux de cassés à la toiture et c’est cela qui a surtout effrayé ta grand’mère. Maintenant, elle va beaucoup mieux. Je l’ai vu hier. Elle paraît très fatiguée, mais c’est de la faiblesse. Elle est restée plusieurs jours sans manger et rester au lit par dessus le marché, cela ne donne pas des forces. Hier, elle a recommencé à manger un petit peu, cela n’est plus que l’affaire de quelques jours et bientôt elle pourra se lever. Elle m’a bien recommandé de t’embrasser lorsque je t’écrirai.

Cette nuit, nous avons eu une nouvelle alerte et j’ai bien pensé à elle. Cela a duré 1h¼ environ. Mais les tirs de barrage n’ont pas tant donné que la dernière fois. Ce matin, on dit qu’ils n’ont pu parvenir jusqu’à Paris et qu’ils ont jeté leurs bombes dans la banlieue. Pauvre banlieusards !!! Cela n’est pas drôle pour eux, depuis quelques temps ! Ils sont plus à plaindre que nous, sous tous les rapports !!!

Nous avons une nouvelle sirène tout près de chez nous. A la mairie du onzième. Je t’assure qu’on l’entend et qu’on est forcé de se réveiller. Hier, elle marchait pour la première fois. C’était un vacarme à tout casser !!!

alerte-sirene

Hier, ou plutôt cette nuit, j’ai mis au moins ½ heure à m’habiller. C’est que voilà, au moment de descendre, impossible de trouver mon coucou à moi. Et cette broche, c’est mon fétiche, je ne descends jamais sans l’avoir après moi. Mon père commençait à ronchonner à me voir si longue à descendre, et moi je cherchais toujours. Enfin, je suis arrivée à la trouver. Elle était sur ma coiffeuse, tout simplement.

Mon petit Loul, je vais te quitter pour un petit moment. Il est 11h½ et il faut que j’aille avant midi porter une petite commission à Loulou. Je continuerai cette lettre après déjeuner. Au revoir mon Loul chéri, à tout à l’heure. Je t’embrasse bien tendrement, Mino

Mon petit Coco chéri, me revoici à t’écrire, il est 1h½. Je viens de relire tes trois lettres.

La carte : La politique t’occupe plus que moi ! Voulait à mon idée représenter mon Loul lisant son journal et sa sale gosse l’empêchant. Moi, je la trouvais très bien, car lorsque mon Loul lit, il n’y a plus moyen de l’arracher de son journal ou de son bouquin. N’est-ce pas vrai ? Voilà, c’est que tu n’as pas vu, le plus beau sur cette carte. J’espérai que tu aurais aperçu certaine inscription, mais tu n’as rien vu. Cherche mon Loul ! Et tu me diras si tu as trouvé quelque chose ???

Mon Loul qui n’oserait pas cueillir des cerises avec une barbe de 4 jours. C’est moi que cela ne gênerait pas !!! Surtout que l’on en cueille déjà pas de trop ! Cela n’en serait peut-être que plus drôle. Cela ferait un peu comme ta petite moustache qui sait si bien me faire enrager. Il est vrai que cela doit être moins doux !!!

Tu ne sais pas mon Loul ? Eh bien les jeunes mariés d’en face me dégoûtent. On dirait qu’ils le font exprès pour me faire bisquer. C’est vrai  que je suis une grosse bête de les regarder ! A présent, le soir, ils s’assoient derrière leur fenêtre. La femme sur les genoux de son mari, bien entendu, et ils restent des heures entières à s’embrasser. Ou alors le mari met sa tête sur les genoux de sa femme. Eh bien moi, ça me flanque le cafard !!! Pourquoi qui en a qui sont heureux tandis que d’autres s’embêtent à mourir. Dire que si ce n’était pas la guerre, on serait comme cela, tous les deux. Ah les veinards, s’ils savaient comme je les envie !!! Chaque soir, lorsque je vais me coucher, j’ai le cafard rien que de les voir. Ils pourraient bien fermer leurs persiennes !!!

Depuis ce matin, Bertha continue à nous jouer de la musique. Quoique ça, moins souvent qu’hier. Il faut croire qu’on la gêne terriblement. Depuis 5h45, nous n’avons eu que 7 coups. Ce n’est pas beaucoup. Je continue à les inscrire. Le dernier était à l’instant. La zone de tir est toujours la même. La direction n’a pas changé. Nous n’avons rien eu par ici. C’est toujours du côté des parents de Madame Blachè. Aussi, elle a dû changer de demeure. Et revenir chez les parents de son mari.

Travet est en permission en ce moment. On m’a dit qu’il avait abattu un boche et qu’on ne lui avait pas compté, aussi il est légèrement découragé. On ne lui a compté qu’une aile de démolie. Tu penses si c’est vexant ! Son frère s’est engagé dans les tanks.

Aujourd’hui, je reste à la maison, aussi je vais bien travailler.

En espérant que tu es toujours bien portant et que tu continues à faire de bons sommes, je te quitte mon chéri Aimé en t’envoyant les plus folles câlineries et les meilleures tendresses de ta gosse qui pense à toi sans cesse,

Mino

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