Superkanon

Le 12 Avril 1918

Mon tout petiot très chéri,

J’ai reçu ce matin ta pauvre petite lettre du 10 et je suis désolée de te savoir sans nouvelles. Crois-bien mon Loul que je t’écris chaque jour et que ce manque de lettre est entièrement de la faute de la poste. Comme je lui en veux de te laisser ainsi dans l’ennui ! Ce que je ne comprends pas, c’est que tes camarades ont des nouvelles et toi rien. J’ai pourtant bien suivi tes instructions à la lettre. Mes premières lettres étaient adressées au secteur 27, ensuite, une au secteur 230 et les autres au secteur 205. Aussi, je t’avoue mon pauvre Loul n’y rien comprendre du tout. Je suis très triste de te savoir sans cette situation. Je voudrais déjà être à demain, pour savoir si tu as enfin reçu une lettre. J’espère que oui. Pourquoi garde-t-on les lettre ? Je me le demande. Pour embêter le monde.

Comme je te le disais dans ma lettre d’hier, nous avons été Marie-Louise et moi à la gare Montparnasse. Nous avons été saluée à notre arrivée par la grosse Bertha et cette fois-ci, elle nous a fait l’honneur de nous envoyer une de ses dragées près de nous. (Il faut te dire que par là, ça fait un peu partie de la zone). C’est très drôle de tout près comme ça. Ça fait moins de bruit que de loin. Je m’imaginais qu’à l’endroit que ça devait tomber, ça devait faire un vacarme. Eh bien pas du tout. Ça fait un bruit sec, comme un gros coup de fusil. Aussi, nous n’avons pas eu peur du tout. Nous avons vu un énorme nuage de fumée. Et comme je voulais aller voir le point de chute de près, Marie-Louise n’a pas voulu. Elle a trouvé préférable de reprendre le métro.

J’ai su après que c’était tombé à la Maternité. Nous étions justement passées devant dix minutes avant par le tramway Montparnasse-Bastille.

maternite creche excelsior

J’ai quitté Marie-Louise à la gare St-Lazare. J’avais une course à faire boulevard Magenta (aller chercher mes petits souliers que j’avais donnés à arranger). Et comme je sortais de la boutique, même bruit sec et rapproché que celui d’avant. Décidément, Bertha voulait essayer de me faire peur, mais je l’ai laissée tomber ! C’est ce que j’avais de mieux à faire !!! Je suis rentrée ensuite à la maison et là, je me suis rendue compte de la différence de bruit, de loin et de près. Ça fait que maintenant, je suis très calée ! Je saurai lorsque cela sera loin ou près.

Aujourd’hui, le superkanon nous a remis ça à 8hm¼, et il continue. Mais qu’est-ce que c’est que ça, à côté de savoir mon Loul au danger et sans nouvelles !!!

Sur ce, je te quitte mon tout petiot pour aller chez Mme Schwab.

En espérant recevoir une lettre bien moins triste demain, me disant que tu as enfin reçu de mes lettres et que tu es toujours en excellente santé, je termine mon Aimé en t’envoyant les plus doux baisers et les plus tendres pensées de ta gosse qui t’adore,

Mino

PS : J’oubliais de te dire. Hier, j’ai vu un cheval pie et à l’instant encore un. Est-ce des fois que mon Loul viendrait porter son vieux coucou aux alentours de Paris ??? Il y avait bien longtemps que je n’en avais pas vu. Je me demandais s’ils avaient quitté Paris. Il faut croire que non, puisqu’en voici deux.

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