Sac de bonbons

Le 19 20 Avril 1918

Mon petit Coco à moi,

J’ai reçu ce matin ta mignonne lettre du 18 m’annonçant l’arrivée de mon petit paquet. Tu sais mon Loul, ça ne vaut vraiment pas la peine de me gronder pour ça ! Tu as deviné, c’est pour rien du tout que je te l’ai envoyé. Ou plutôt, c’est parce que la vente de bonbons et gâteaux a été autorisée pour une quinzaine de jours. Le temps d’épuiser ce qui était fait. De là, l’idée de t’en envoyer un peu avant la fin. Etaient-ils bons seulement ?

Tant qu’à ne pas dépenser mon argent, tu parle, mon Loul, d’une dépense ! En ce moment, je n’en ai pas besoin, vu que tu ne viens pas. Je n’ai donc rien à m’acheter. Dernièrement, je m’étais acheté du tissu pour me faire faire une robe à ta prochaine permission, eh bien à présent, je le regrette. J’aimerais mieux avoir l’argent que le tissu. Car je ne sais pas du tout quand je te reverrai. En plus de ça, la couturière est partie et je reste en panne avec ma robe. Enfin, c’est un bien petit malheur !!!

altéricide - copie

En ce moment, je suis en train de sucer des bonbons qui ne sont pas mauvais du tout. Ils ont un très bon goût. Devine lequel ? Celui de cerise. Je les ai acheté ce matin et dame, je leur fais honneur. Tu vois, qu’il n’y a pas que toi de gourmand, petit chéri ! Comme je voudrais que t’y puisses y gouter en me donnant une cerise de vrai ! Ça serait vraiment bon ! Surement pas si bon qu’une au Cinzano ! N’est-ce pas mon tout petiot ???…

cinzano

J’espère que tu ne me gronderas pas trop de partager la moitié de mes bonbons avec toi. Aussi, je t’envoie la moitié de mon sac pour que tu y goûtes.

Hier, figure-toi que Madame Schwab nous avait donné à 4h de la confiture de groseille. Il y avait dedans des petits pépins. Et voilà que ces pépins étaient comme ceux du Mesle. Impossible de les avaler. Tout-à-coup, me voilà partie dans une crise de rire dans la chambre de Loulou. Elles se demandaient toutes deux avec Suzanne qu’est-ce qui me prenait. Je pensais à ceux des mûres et à la belle bûche qu’ils nous ont fait prendre et c’est cela qui me faisait tant rire. J’ai dit : “Ne faites pas attention, j’ai un pépin dans une dent et c’est cela qui me divertit tant.” Il aurait fallu que mon Loul soit là. Cela aurait été encore plus drôle.

Hier soir, Bertha s’est réveillée et nous a envoyé 3 petites dragées de 6h à 7h½. Heureusement qu’elle s’est tue après, nous avons pu dormir tranquille. Ce matin, nouveau silence. Quel sagesse, pourvu que cela dure. Il parait qu’on la contre-bat efficacement. De là, son silence de temps en temps.

J’ai reçu ce matin une lettre de Marie-Louise. Déjà hier tantôt, j’en avais eu une. Celle de ce matin est un peu plus triste. Ayant reçu ma lettre, elle sait qu’Espierre est venu à Paris. D’ailleurs, il le lui a écrit. Quoique ça, elle n’a pas trop le cafard et me dit qu’il n’y a rien de tel que la mer bleue et le beau soleil pour chasser les idées noires. Heureusement qu’elle ajoute : “Je dois te scandaliser.” Car en effet, moi, cela ne me ferait rien du tout, au contraire, j’aurais encore plus le cafard de voir tout riant autour de moi, tandis que mon Loul serait à Paris. Enfin, tant mieux pour elle. Comme cela, elle regrette moins d’être partie.

Elle se plait beaucoup, elle m’écrit sur la plage. Il faut croire qu’il ne fait pas trop vilain et pas trop froid. Ce n’est pas comme ici. Hier, nous avons eu de la neige. Elle m’envoie plusieurs cartes pour que je voie le pays. En effet, ça parait très gentil. Elle a déjà fait une promenade à bicyclette de 10km. Elle espère venir bientôt à Paris. Sans doute qu’Espierre aura une nouvelle mission.

Elle me dit aussi : “C’est grand dommage que cette mission n’ait pas été pour Lucien, puisque toi, tu étais à Paris.” Comme elle est bonne ! Hélas ! Comme elle dit, c’est dommage.

J’espère que tu es toujours en bonne santé et que tu ne t’ennuie pas de trop. Dans cet espoir, je te quitte mon Loul Aimé en t’envoyant une foule de bien douces câlineries et de bien tendres cerises de ta gosse qui ne pense qu’à toi,

Mino

 

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