Toquade des retouches

Le 18 Avril 1918

Mon Loul à moi,

J’ai reçu ce matin ta mignonne lettre du 16, mise à Paris par un camarade. Le veinard ! Il n’aurait pas pu des fois te céder sa place ? Ça ne m’étonne pas que tu ne puisses voler. Ici, il fait un temps affreux depuis plusieurs jours. Un vrai temps de Toussaint. Pas clair et surtout très froid.

Hier, j’ai été chez ta tante et j’ai trouvé tout le monde en bonne santé. Deux obus sont tombés près de chez elle. Un dans sa rue, dans une usine, l’autre dans des petits jardins que l’on voit de sa salle de billard.

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Aujourd’hui, je reste à la maison, je vais me lancer dans le raccommodage. C’est palpitant, tu ne trouves pas ?

Ça me semble tout drôle de ne plus voir Marie-Louise. Bien qu’elle me faisait pas mal enrager, elle me distrayait beaucoup. Je croyais avoir un mot d’elle ce matin, mais rien. Ma lettre a certainement dû lui flanquer le cafard. Ce qui n’est pas du tout de ma faute.

Je t’envoie par le même courrier deux photos de moi. Je t’avais depuis longtemps réservé cette surprise. Hélas ! Pour ne pas changer, j’ai eu un tas de déveines avec photos. Il y a plus d’un mois que ça dure. Pour arriver à quoi. A pas grand chose de propre. Le photographe me dégoûte. Je me suis disputée avec. C’est vrai ! Il a la toquade de vous retoucher. S’il le faisait bien, ça irait, mais il vous change complètement la physionomie.

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Celles que je t’envoie ont encore ce défaut. Les yeux sont retouchés. Mais si tu avais vu les premières qu’il m’a fait, que j’ai refusées du reste. Mon pauvre Loul, tu ne m’aurais pas reconnue. J’aurais été forcée de mettre mon nom dessous. Je les ai montrées chez toi, on ne m’a pas reconnue. Tu vois d’ici si j’étais contente. Moi qui voulais te faire une surprise, c’était tout à fait réussi. J’y suis donc retournée et c’est là qu’il m’a fait celles-ci. Je lui avais bien recommandé de ne pas me retoucher. Il a encore recommencé. Aussi, j’étais furieuse. Je n’y retournerai plus jamais. C’est un voleur.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je te quitte mon tout petiot adoré en t’envoyant une foule de bien douces caresses de ta gosse qui pense à toi sans cesse,

Mino

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