Je ne suis plus un bébé

Le 25 Mars 1918

Mon tout petiot Aimé,

A ma grande joie, j’ai reçu hier tantôt ta mignonne lettre du 21. C’est le facteur lui-même qui me l’a remise dans la rue. Et le soir, celle du 22. Aussi, tu dois penser combien j’étais contente. Dans tout ce bombardement, ce qui m’ennuyait le plus, c’était le manque de nouvelles.

Voilà Paulette qui vient de m’apporter ta mignonne lettre du 23. Je l’ai lu très attentivement et je n’ai pas bronché lorsque j’ai appris que les permissions étaient supprimées. Je m’en doutais. Mon petit Loul chéri, tu peux être tranquille. Je te promets d’être très sage. Et tu sais, ce n’est pas une vague promesse, celle-là ! C’est bien vrai. Je comprends très bien que la situation est grave maintenant, aussi je garde tout mon sang froid. J’aurais reçu ta lettre à un tout autre moment que celui-ci, je me serais mise à pleurer bien certainement et bien, si tu me voyais, petit Loul, tu verrais que je suis très courageuse. Te rappelles-tu comme j’étais sage au début de la guerre, dis mon Loul ? Eh bien en ce moment, je suis comme ça. Toutes mes émotions de ces jours derniers m’ont aguerrie et je crois que je ne suis plus un bébé.

Tant qu’à ma santé, rassure-toi, mon tout petiot. Mon rhume va beaucoup mieux à présent. Je n’y pense pour ainsi dire presque plus.

Comme tu dis, ce canon, c’est diabolique !!! Quelle invention ! Il parait que cela fait bien moins de dégâts qu’une bombe.

Ce matin, nous avons eu que cinq coups de 6h50 à 8h et deux autres vers 13h. On y fait presque plus attention. Les métros remarchent ainsi que les trams depuis hier. Dans la rue, il y a autant de monde qu’à l’habitude. Le premier jour, cela nous avait un peu effrayé, mais maintenant, on en prend son parti.

alerte-sirene

Ce qu’il y a de plus drôle, c’est que les pompiers s’entêtent à nous sonner la berloque tous les jours. A quoi cela sert-il ? Lorsque la pièce sera détruite, ça ira. Hier, ils sont passés à 16h. A 17h, nous avons eu 2 autres détonations. Ce matin, même tabac. A midi, ils sonnent les cloches et la berloque. A 1h, 2 détonations. Cela nous amuse. Cette nuit, nous avons fait une petite tournée à la cave. Il était 1h du matin lorsque les sirènes nous ont réveillés. Cinq minutes après, tout le monde était installé au fumoir et au salon. Cela n’a duré qu’½ h. Les vilains gothas ne sont pas arrivés jusqu’à nous.

Je vais te quitter mon tout petiot pour profiter de l’accalmie pour aller faire quelques provisions. Ce n’est plus le matin que l’on fait son marché à présent, c’est le soir !!!

En te promettant encore une fois bien sincèrement d’être très sage et très courageuse quoiqu’il arrive, je te quitte mon adoré en t’envoyant les plus doux baisers de ta grande gosse qui t’aime si tendrement,

Mino

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