Réveillée par mon Loul

Le 12 Mars 1918 – 13h

Mon tout petiot chéri,

J’espère que tu as fait un très bon voyage et que tu es arrivé sans incident à Coincy. Je pense que tu as dû partir de Buc ce matin, car il fait un temps superbe.

J’ai bien regretté de ne pas avoir été habillée lorsque tu es venu ce matin, car j’aurais pu aller t’accompagner jusqu’à la gare. J’étais tellement fatiguée que je ne me suis réveillée que lorsque tu es arrivé. C’est la première fois que je suis réveillée par mon Loul ! J’espère l’être bien des fois et mieux que ça !!! N’est-ce pas petit ?

Je crois que ce dernier raid a un peu ébranlé mon père. A l’instant, il me parlait de partir d’ici. De quitter son travail et de nous en aller, je ne sais au juste où. Moi, ça ne me dit rien du tout ! Je crois qu’il s’affole un peu. Maintenant, je m’aperçois qu’il devient de plus en plus nerveux à chaque raid. Enfin, j’espère que cela ne se renouvellera plus si souvent ! Mais j’en doute !

Hier soir, mon père est rentré à 9h. Je commençais à m’inquiéter. Plus il va, plus il rentre tard. Comme l’autre fois, nous finissions de dîner lorsque l’alerte a été donnée. Aussi, j’ai pensé tout de suite à toi qui était dehors et je me suis fait beaucoup de mauvais sang. Je me disais : “Si seulement mon Loul était resté à dîner, j’aurais été près de toi et j’aurais été au moins sûre qu’il ne t’arriverait rien.” Tandis que là, même la berloque sonnée, je n’étais sûre de rien du tout. Je craignais que tu veilles venir à la maison pendant l’alerte et je m’en faisais et pas qu’un peu.

J’ai dormi comme une masse et lorsque je t’ai vu, j’étais comme une abrutie. Enfin, le principal est qu’il ne soit rien arrivé. Ni a l’un, ni à l’autre. Je suis assez sage et je fais mon possible pour l’être d’avantage. Lorsque je t’ai quitté hier soir, je ne l’ai pas été du tout. Tu ne peux t’imaginer mon Loul, combien ça me flanque le cafard de voir que je profite si peu de toi, lorsque tu es là ! Enfin, je préfère ne pas y penser car je l’aurais à nouveau.

Je vais travailler chez la couturière, aussi je te quitte bien vite car l’heure tourne.

En espérant que tu es bien rentré et que ta santé est très bonne à présent, je te quitte mon tout petiot chéri en t’envoyant les plus douces tendresses de ta gosse qui voudrait tant t’avoir tout à elle,

Mino

PS : On vient de renvoyer les gosses des écoles et les femmes des usines de munitions chez elles. On attend une alerte parait-il. Je ne crois pas. En tout cas, je ne sors pas, puisque je vais travailler.

 

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