Quand est-ce donc que cette maudite guerre finira ?

Le 5 Mars 1918

Petit Loul Aimé,

J’ai reçu hier soir ta mignonne lettre du 2 et ce matin celle du 3. Je suis désolée de voir que tu es toujours si ennuyé ! Je suis de ton avis, petit Loul, il faudrait mieux savoir exactement ce qu’il en est que d’être ainsi dans l’incertitude. Tu te ferais bien moins de mauvais sang, car en somme, bien soigné, ce n’est rien du tout, on peut se débarrasser de ça en quelques jours. Si seulement tu pouvais venir à Paris, tu pourrais consulter un docteur plus compétant.

Je vais te dire, mon petit Loul, que cela est très difficile à reconnaître. La preuve : lorsque Madame Delcroix était comme ça, la couturière et moi craignions bien l’avoir attrapé. Lorsque nous avons été consulter le docteur, il était certain que je ne l’avais pas, tandis que Mlle Raymonde, il n’en était pas sûr du tout. Total : ses boutons se sont passés tout seuls et elle n’y pense certainement plus à présent.

Tant qu’à la pommade soufrée, c’est bon lorsqu’on l’a, mais lorsque l’on a rien, ça vous brûle la peau et c’est tout, et de là, de vives démangeaisons.

Ah ! Si j’étais seulement près de toi, tu verrais comme je te soignerais bien et qu’en quelques jours tu n’y penserais plus du tout. Mon pauvre petit Loul, quand est-ce donc que cette maudite guerre finira et que nous serons tous les deux ! Là, les ennuis passeront, sans s’en apercevoir.

J’oubliais de te dire que j’ai reçu également ta petite photo. Elle m’a fait grand plaisir. Elle est pas mal ! Ça fait que j’ai un Loul de plus, celui-là, je l’ai couvert de cerises. Les trois autres reçus dernièrement, je n’osais pas de peur de les salir !!!

Hier soir, j’ai rapporté mon Loul en pieds. Aussi j’étais toute fière et je le serrais bien fort sur mon coeur. Madame Sevette a gardé les 2 autres. Il y en aura une pour toi, parait-il. Je n’ai trop rien dit, puisque j’emportais mon préféré. Tout le monde les a trouvées très bien. Monsieur Sevette était baba que de pareilles photos ne coûtent rien !

Aujourd’hui, je vais aller acheter un beau cadre afin que je puisse mettre mon Loul dans ma chambre et qu’il ne soit pas à la poussière.

Figure-toi qu’hier, je ne reconnaissais pas ton père. Il s’est rasé la moustache et ça le change, comme tu ne peux te l’imaginer. Je l’aimais beaucoup auparavant. Tu sais, petit chéri, ne fait jamais ça, ce n’est vraiment pas beau. Et puis cela me ferait de la peine et comme tu ne veux pas m’en faire, je suis bien tranquille. Tu ne pourrais plus faire enrager ta gosse après et cela serait bien malheureux…!!!

portrait-sevette-fred
Frédéric Sevette avec…
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… et sans moustache

J’ai vu Pierre qui m’a redit que tu étais en parfaite santé. Si seulement cela était vrai ! Ça me ferait grand plaisir. Il pense que tu viendras chercher un appareil un de ces jours. Si seulement il pouvait dire vrai ! Une amie de Loulou  et de Suzanne, Charlotte Bussière, l’a pris pour toi !

J’ai reçu hier soir un petit panier de Nice de Marie-Louise. Je croyais que c’était des fleurs, mais je me suis trompée. Il contenait 2 magnifiques grappes de raisin qui étaient ma foi aussi bonnes que belles. C’est sans doute pour ma philippine.

Sur ce, petit Loul, je te quitte.

En espérant de tout mon coeur que ta santé soit tout à fait bonne au reçu de cette lettre, je t’envoie mon Aimé les plus doux baisers de ta gosse qui t’adore,

Mino

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