C’est à être dégoûtée de sortir

Le 21 Février 1918

Petit Loul chéri,

J’ai reçu hier soir ta mignonne lettre du 18 m’annonçant les photos tant attendues, aussi ce matin, je me suis levée de bonne heure (7h¼) afin de guetter le facteur. Je l’ai aperçu avec un long paquet, aussi je me suis doutée que c’était pour moi. En effet, il me l’a apporté lui-même. Je t’assure que je n’ai pas été longue à défaire le tout.

portrait en pieds

Elle sont vraiment bien. Je me suis pâmée devant. C’est bien mon Loul à moi ! Celle que j’aime la mieux est celle en pieds, mais il y en a une autre qui me plait bien aussi. Mais il ne faut pas que je sois trop exigeante. J’aurais peur de mécontenter tes parents. Je suis certaine que c’est la même que moi qu’ils vont préférer. Enfin, je leur dirai que tu en désires une pour toi. Je verrai bien s’ils veulent ! Je ne leur porte pas encore tout de suite, car je ne vais chez toi que Lundi en huit. Je vois bien ta maman et Suzanne demain chez Loulou, mais comme M. Sevette n’y est pas, je ne leur porterai pas. Ça fait que pendant plusieurs jours, je vais pouvoir profiter toute seule de mon Loul. C’est bien juste après tout.

Depuis ce matin, je les ai bien regardées 20 fois. Je les range dans leur carton et cinq minutes après, je redéfais tout et je les aligne devant moi. Lorsque je les ai bien vu et que les traits me restent gravés dans la mémoire, je les range et ainsi de suite. Une vraie gosse, quoi !!! Ainsi, en ce moment, je vais aller les regarder, car rien que d’en causer, ça me donne envie de les voir !!! Pour mieux les voir, je les ai mises toutes les trois devant moi, comme cela, je peux mieux t’admirer.

Dire que j’ai trois Loul depuis ce matin et que je n’ai pas eu un petit bout de cerises. C’est rageant !!!

Eh bien tu sais, ta gosse, hier, a été bien arrangée ! En allant chez ta tante, j’ai été giflée par un conscrit, avenue Jean Jaurès. Je passais bien tranquillement sur le trottoir, lorsqu’une bande de conscrits, mais des sales types, se sont approchés de moi. Pour les éviter, je marche sur le bord du trottoir, l’un d’eux se détache du groupe et m’attrape par le cou, pour m’embrasser. Je le repousse violemment avec les mains et dame, la secousse étant forte, il me lâche. Mais au même moment, il m’a allongé une de ses gifles, j’en ai vu trente-six chandelles. Quelle claque, je crois que je n’en ai jamais reçue de pareille de ma vie. J’en aurais pleuré. Je lui ai rendu, mais pas si fort car je n’ai pas tant de force.

Tu crois que quelqu’un aurait pris ma défense ? Eh bien non, les gens qui assistaient à cette scène se roulaient. Tu comprends, c’était très drôle de voir une personne en toilette recevoir une claque de la main d’un sale type, pour un peu, ils se seraient mis de son côté. Lorsque j’ai vu ça, j’ai traversé et pris une petite rue qui arrive près de la rue Cavendish. J’étais vexée, comme tu ne peux te l’imaginer. Je suis arrivée chez Madame Liotard, j’avais la marque des doigts sur ma joue, il n’y avait pas été de main morte.

Gabrielle a été pareillement ennuyée le matin. Ceux-là voulaient absolument qu’elle leur donne de l’argent. Pour s’en débarrasser, elle leur a donné 2 tickets de métro. C’est à être dégoûtée de sortir. On est même pas tranquille en plein jour. Qu’est-ce que cela doit être le soir. Ceux de la classe 19 se croient tout permis. Ceux de la classe 18 n’étaient pas comme ça. Enfin, c’est la guerre !

harcèllement

Hier tantôt, j’ai vu un cheval pie place de la Bastille. Ce matin, j’en ai vu un autre, devant la maison. Cela fait 4 depuis Dimanche, et mon Loul chéri ne vient toujours pas. Tu me dis que tu vas déménager et cela me donne beaucoup d’espoir, car la dernière fois, c’est à cette occasion que je t’ai vu. Enfin, espérons qu’il en sera de même cette fois-ci.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je t’envoie mon petiot Aimé les plus douces tendresses de ton bébé qui est fou de toi,

Mino

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